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Une saison en enfer, d'Arthur Rimbaud, photographies et dessins de Patti Smith, Gallimard, 2023 Quel merveilleux cadeau de Noël que cette superbe édition d'Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud (1873), agrémentée par des textes, des photos et des dessins d'une rimbaldienne absolue, Patti Smith. La chanteuse étasunienne nous offre une magnifique vision de « son » Rimbaud, auquel elle voue un véritable culte depuis l'adolescence. Elle a même racheté le lieu où avait vécu la mère de Rimbaud et où celui-ci avait écrit Une saison en enfer. Sur la couverture, elle pose avec le revolver qu'utilisa Verlaine contre son amant, alors que celui-ci venait de lui annoncer qu'il le quittait, ne le blessant que légèrement (fort heureusement). De par ce lien sensible et inspirant, Patti Smith parle de Rimbaud tel un compagnon de vie, en qui elle reconnait un modèle qui la bouleversa et avec qui elle est toujours en dialogue, comme on peut continuer à dialoguer avec des êtres chers mais malheureusement disparus. Cette édition est une invitation à lire et à relire le verbe enivrant de Rimbaud et donne à voir non seulement Une saison en enfer, mais aussi les poèmes préférés de Patti Smith, la correspondance du poète avec les siens, les fac-similés des textes originaux… « Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. »

En bons pères de famille de Rose Lamy, JC Lattès, 2023 « En bon père de famille » : cette notion juridique (en théorie abrogée de nos jours) était censée renvoyer à une norme de raisonnabilité, de respect des lois, de moralité. Le « bon père de famille », c’est encore, dans le langage courant, une expression souvent convoquée pour qualifier un homme qu’on pense (ou qu’on pensait) au-dessus de tout soupçon. Une image qui met à distance, qui distingue des « monstres », des « autres », de ceux qui sont violents. Mais la vérité des faits, rappelés par Rose Lamy, c’est que les violences intra-familiales représentent quarante-cinq interventions par heure des forces de l’ordre et que la violence s’exerce partout, mais surtout et en grande majorité, dans le huis clos du foyer. Dans cette très bonne synthèse, elle rappelle les mécanismes collectifs à l'œuvre dans le traitement des violences masculines et la protection qu’exercent entre eux « les bons pères de famille ». Plutôt court et accessible, cet essai constitue une excellente porte d’entrée sur la question en se référant à de nombreux (et documentés) événements connus du grand public. À mettre en toutes les mains ! À la Bpi, niveau 2, 300.0 LAM

Le Grand Secours, de Thomas B. Reverdy, Gallimard, 2023 Le Grand Secours est le récit d’une émeute urbaine, une journée glaciale de janvier, à Bondy. Tout commence à un carrefour tentaculaire, sous le pont de l’autoroute A3, par une altercation tristement banale entre le lycéen Mahdi et un policier au crâne rasé… Les blessures, les tensions alimentées par les réseaux sociaux, vont enfler, s’étendre et toucher différents personnages liés par un même territoire : Candice, professeure de français au lycée et Paul, le poète qu’elle accueille dans sa classe pour un atelier d’écriture ; les élèves Mo, Sara et leurs ami·es… La narration se développe heure par heure en croisant les récits de ces vies enchâssées, à la manière d’une tragédie classique. Les trois unités – temps, lieu, action – sont la matrice d’un conflit devenant soulèvement. Quel sera le « grand secours » qui éteindra le feu de la révolte ? Dans un style empreint d’humour et de finesse, Thomas B. Reverdy mêle des références très diverses, de Molière à Kae Tempest, pour nous donner à voir le théâtre du monde, la complexité du réel, et le pouvoir malgré tout de la littérature et des mots, lorsqu’ils sont partagés. À la Bpi, niveau 3, 840"20" REVE 4 GR

La Petite-Fille, de Bernard Schlink, Gallimard, 2023 Été 1964. Kaspar, jeune Allemand de l’Ouest, rencontre Birgit à Berlin-Est. Les deux étudiant·es amoureux·ses ne se quitteront plus. Passionné par la littérature, le couple ouvre une librairie à Berlin-Ouest. À la mort de son épouse, Kaspar découvre son terrible secret : avant sa fuite en RFA, elle avait eu un enfant, qu’elle a abandonné. Le vieil homme décide d’accomplir ce que Birgit avait envisagé sans oser le faire : retrouver Svenja, sa fille. Ce roman de Bernard Schlink, ancré dans l’histoire contemporaine de l’Allemagne, aborde les thèmes chers à l'auteur : les fantômes du nazisme, la séparation du peuple allemand par le mur de Berlin, la difficile réunification des deux Allemagnes. Dans un premier temps, le livre est construit comme une véritable enquête, qui nous plonge dans une histoire amoureuse oscillant entre tristesse et bonheur. Dans un second temps, il bascule vers le récit d’apprentissage pour narrer la rencontre d’un vieillard avec une adolescente aux idées politiques à mille lieues de ses convictions. Cependant, tous deux évolueront de pair et apprendront l’un de l’autre. Un livre grave, mélancolique, mais aussi plein d’espérance, qui réussit à nous convaincre de la force de la bonté, de la bienveillance, de la tolérance et de l’éducation à la culture qui peuvent combattre l’ignorance et la bêtise. À la Bpi, niveau 3, 830"19" SCHL.B 4 EN

Bike trip USA 1939, de Ruth Orkin, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2023 Avoir dix-sept ans en 1939, être femme dans les États-Unis de cette époque et décider de partir seule avec sa bicyclette parcourir le pays d’ouest en est, munie d’un appareil photo… tel est le challenge que se lance la jeune Ruth Orkin. Issue d’une famille qui l’avait habituée aux voyages, avec une mère actrice et un père directeur d’une entreprise de jouets, la jeune fille est curieuse, talentueuse – elle gagne des prix qui financent son périple – et téméraire – elle voyage en biplan, dort dans des auberges de jeunesse. Sa passion pour la photographie démarre dès huit ans et, à douze ans, elle développe déjà ses photographies. Ce périple de trois mois lui permet de faire beaucoup de rencontres, de visiter de multiples lieux... et, sa grande surprise, ce voyage est très médiatisé. Elle déclarera d’ailleurs à un journalistes : « Ça m'a donné l'impression que j’étais quelqu’un. » Durant ce voyage initiatique, Ruth Orkin rédige un journal de bord qui deviendra un récit de voyage, illustré de ses dessins et photographies. Devenue photographe professionnelle, elle tentera toute sa vie de publier ce carnet de voyage, abondé au fil des ans et qui représente « une véritable entreprise d’émancipation ». Grâce à la Fondation Henri Cartier-Bresson, le public peut enfin découvrir le travail de cette femme avant-gardiste, libre et engagée, qui a su faire de sa vie une grande aventure. À la Bpi, niveau 3, AR BUR EXP

Kafka. t.1 : Le Temps des décisions, de Rainer Stach, Cherche Midi, 2023 « On entre dans un mort comme dans un moulin » : cette affirmation de Jean-Paul Sartre n’a jamais semblé aussi vraie qu’à la lecture du premier tome de la biographie que Reiner Stach consacre à Kafka. On suit l’écrivain de 1910 à 1915, et c’est toute une époque qu’on entrevoit à travers les yeux de l’auteur de La Métamorphose (1915) : le monde littéraire de Prague à la Belle Époque, la vie de bureau des fonctionnaires austro-hongrois·es en Bohême, les répercussions des premières découvertes de la psychanalyse, le sionisme à l’époque où la Palestine est encore contrôlée par l’empire Ottoman, ou encore les premiers mois de la Première Guerre mondiale dans l’Empire austro-hongrois… et bien d’autres sujets encore qui nous font voyager dans le temps. Mais, à travers ce livre imposant, on découvre aussi l’écrivain, ses difficultés à écrire et surtout à être satisfait de ce qu’il écrit : ses trois romans, dont Le Procès (1925), resteront inachevés et non publiés de son vivant. Mais c’est surtout à travers la relation qu’il entretient avec Felice Bauer que l’on rentre dans l’intimité de Kafka. Iels tombent amoureux l’un·e de l’autre grâce à une relation épistolaire et décident de se marier. Mais lorsque la réalité prend la place de l’imagination, chacun·e hésite. Même si le mariage n’aboutit pas, les péripéties sont rendues haletantes grâce au remarquable travail d’enquête qu’a mené Reiner Stach, notamment à partir de la correspondance de Kafka. Les lecteur·rices se retrouvent au cœur de la relation entre les deux amant·es qu’iel voit évoluer, et le livre devient aussi la subtile analyse d'une relation amoureuse complexe. À la Bpi, niveau 3, 831 KAFK 5 ST

La Sentence, de Louise Erdrich, Albin Michel, 2023 Tookie, une Amérindienne condamnée pour trafic de drogues et de cadavres, travaille dans une librairie spécialisée en culture autochtone depuis sa sortie de prison. Son équilibre est menacé lorsqu’une ancienne cliente commence à la hanter. La Sentence est un roman sur les hantises. Le réalisme magique qui irrigue l’intrigue s’inscrit dans les croyances des protagonistes, tous·tes Amérindien·nes. Grâce à elleux, nous entrons en contact avec un monde qui porte une grande attention à l’autre et à l’invisible, mais aussi avec la violence qu’iels ont reçue en héritage. De fait, la Covid et les violences policières – l’action se passe à Minneapolis, la ville de George Floyd, tué par un policier en 2020 – touchent particulièrement la communauté autochtone et s’inscrivent dans une terrible et ancienne histoire de dépossession, d’effacement et de racisme. « Que devons-nous aux morts ? », se demande Tookie. Et aux vivant·es ? La réponse est complexe, ce que la structure éclatée du roman fait bien sentir. Mais l’importance accordée aux livres tout au long du récit est une piste : ils peuvent aider à vivre, comprendre et transmettre. Après tout, comme la crise nous l’a rappelé, ils sont essentiels. À la Bpi, niveau 3, 821 ERDR 4 SE

Kramp, de Maria-José Ferrada, Quidam, 2023 M., 9 ans, est la fille d’un représentant en quincaillerie pour la marque Kramp. Elle le suit de village en village sur les routes du Chili, quitte à manquer le collège et à mentir à sa mère taciturne. M. se lie avec les collègues et amis de ce père farfelu, qui l’incite à user de mascarades pour inspirer la pitié des clients. Parmi eux, un certain E., mystérieux projectionniste de cinéma, lui dit être à la recherche de fantômes… Lorsque sa mère découvre les supercheries de son mari, elle le quitte, éloignant M. de l’influence paternelle. Des années plus tard, celle-ci retrouve son père, en décalage avec une société modernisée. La structure du roman est bâtie comme un registre de comptes. Quantités de boulons, d’écrous et de clous scandent la vie quotidienne de la narratrice. En grandissant, M. découvre une facette de son père qu’elle n’avait pas perçue jusqu’alors : sa malhonnêteté et celle de ses compagnons de route, restés figés dans leurs postures d’antan. Sa mère lui révèle le lien entre les fantômes recherchés par E. et la dictature de Pinochet. Ce drame familial, narré dans un registre enfantin et naïf, relate la difficulté de grandir et de voir le monde des adultes sous un nouveau jour. Bientôt à la Bpi, niveau 3, 868.49 FERR

Hirayasumi, de Keigo Shinzō, Le Lézard noir, 2023 Hiroto, 29 ans, insouciant et célibataire, aspirant acteur, travaille à mi-temps sur un stand de pêche. Il a pris l'habitude de dîner chez une vieille voisine qu'il apprécie. À la mort de celle-ci, il découvre avec surprise qu'elle lui a légué sa maison. Natsumi, sa cousine de 18 ans, venue à Tokyo pour ses études en arts, emménage dans cette nouvelle maison, et aspire secrètement à devenir mangaka. La difficile cohabitation entre les deux cousin·es aux tempéraments très différents ménage des moments de vie quotidienne drôles et sensibles. Ce manga est un joli récit sur le passage à l'âge adulte et la solidarité entre les générations. Appuyé par un dessin au trait délicat, l'auteur expose avec justesse les sentiments et l'évolution des personnages. Cette histoire qui met de bonne humeur est parfaitement dans l'esprit de Noël. À la Bpi, niveau 1, MA HIR

Légendes & Lattes , de Travis Baldree, Ynnis éditions, 2023 Si vous étiez une orc mercenaire qui souhaite raccrocher l’épée et entamer une reconversion professionnelle, dans quoi vous lanceriez-vous ? Pour Viv, c’est évident : ouvrir un café pour partager la chaleur réconfortante de ce breuvage peu connu dans son monde ! Ce rêve la pousse à suivre des lignes magiques jusqu’à Tuine où elle déniche l’emplacement parfait. Deux bras, aussi musclés soient-ils, ne suffisent toutefois pas pour bâtir un tel projet et Viv saura donc s’entourer, au gré de rencontres inattendues, d’alliés aussi inventifs que fidèles. Mais la ville grouille de gens moins bien intentionnés, alors pour conserver sa « chance » , Viv devra la défendre… mais à quel prix ? Le genre de livre dont vous ignoriez avoir besoin, et qui parvient pourtant à réchauffer votre cœur comme un bon café et à vous faire saliver comme devant une pâtisserie sortie du four. Nulle épopée sanglante dans cette histoire, mais un concentré de douceur, agrémenté d’une pincée d’embûches. À lire muni·e d’un goûter !

Le baron Wenckheim est de retour, de László Krasznahorkai, traduit par Joëlle Dufeuilly, Cambourakis, 2023 La quiétude d’une petite ville proche de Békéscsaba, au sud-est de la Hongrie, est agitée par plusieurs événements inattendus. Un ancien professeur d’université, reclus dans une cabane fabriquée de ses propres mains au cœur de la Ronceraie, voit arriver une jeune femme qui dit être sa fille. Puis une rumeur s’amplifie : le baron Wenckheim, émigré en Argentine depuis plusieurs dizaines d'années, souhaite revenir sur la terre de ses ancêtres pour y retrouver Marika, son amour de jeunesse. La petite ville pauvre, coupée de tout, se met à espérer les largesses du baron et lui prépare un accueil digne d’un sauveur. Le baron Wenckheim, timide et vieillissant, va-t-il répondre à de si grandes espérances ? Dans ce nouveau roman fleuve, chaque long paragraphe développe une situation cocasse vue par un narrateur différent, et l’amène à son paroxysme. László Krasznahorkai brosse le portrait d’une ville en proie à une menace indéterminée, dont toutes les autorités et les personnages emblématiques, dépeint·es sans complaisance, semblent peu à peu dépassé·es… Le maire tente tant bien que mal d’incarner l’âme de la ville ; le capitaine peine à faire régner l’ordre, assisté malgré lui par une milice de motards assoiffés de vengeance ; le directeur de la bibliothèque essaie de préserver le calme de son établissement dans la tourmente générale ; et Marika est touchée par l’amour persistant d’un baron qu’elle avait à peine remarqué. À la Bpi, niveau 3, 894.51 KRAS 4 BA

Stella Maris, de Cormac McCarthy, Éditions de l'Olivier, 2023 Le roman Stella Maris de Cormac McCarthy se déroule à Black River Falls dans le Wisconsin, en 1972. Le récit, situé dix ans avant Le Passager, apporte des éclaircissements sur les zones d'ombre de cette œuvre antérieure de l'auteur. À vingt ans, Alicia Western fait le choix de pousser les portes d'une institution psychiatrique, dévoilant ainsi les tréfonds de son monde intérieur au cours de neuf séances avec son thérapeute. Le roman nous fait suivre le cheminement émotionnel et intellectuel qui a conduit Alicia, enfant précoce et mathématicienne géniale, à l'issue choisie dans les premières pages du Passager. Au fil des séances, Alicia ouvre la porte sur son monde intérieur, révélant un univers peuplé de créatures chimériques et de figures puissantes. Parmi elles, la grand-mère qui l'a élevée, une présence indélébile dans son existence, le mathématicien Alexandre Grothendieck, son mentor intellectuel, et son frère Bobby, objet d'un amour impossible. Les échanges entre Alicia et son thérapeute, souvent teintés de réflexions sur la nature du monde et des mathématiques, confèrent à l'œuvre une dimension proche de l'essai métaphysique. Agé de 90 ans lors de l’écriture de ce livre, Cormac McCarthy dépeint avec maestria une héroïne fragile et géniale révélant sa beauté et sa complexité, faisant de ce roman captivant une exploration minutieuse des méandres de l'esprit d'une jeune femme tourmentée. À la Bpi, niveau 3, 821 MCCA.C 4 ST

Lost Lad London, de Shima Shinya, Ki-Oon, 2023 Al, étudiant londonien d'origine asiatique, se sent à part dans sa famille d'adoption. Il préfère vivre en colocation, à distance de ses parents. Il mène une vie tranquille, jusqu'au jour où le maire de la ville est retrouvé assassiné dans le métro. Justement, Al se trouvait dans une rame non loin. Cette coïncidence ne semble pas le troubler, jusqu'à ce qu'il découvre dans la poche de son manteau un couteau ensanglanté. Peu après, un inspecteur de police sonne à sa porte et, contre toute attente, deviendra son meilleur allié pour découvrir ce qui lie Al à cette affaire et pour l'innocenter. Ce manga est surprenant tant par le fond que dans sa forme. Le dessin, minimaliste et épuré, loin des rondeurs et de la dynamique habituels d'un manga, peut dérouter. Le scénario, hommage assumé au polar anglo-saxon, reprend avec efficacité les codes du genre. Les amateur·rices de séries télévisées policières noteront sûrement une certaine ressemblance de l'inspecteur Ellis avec le très charismatique Luther, personnage éponyme de la série britannique, interprété par Idris Elba. Un bon divertissement pour les vacances de Noël. À la Bpi, niveau 1, MA LOS

Le Livre de Rose, d'Emmanuelle Favier, Les Pérégrines, 2023 Emmanuelle Favier nous plonge dans l’histoire de deux femmes : une réalisatrice contemporaine en panne d’inspiration et Rose Valland, résistante et attachée de conservation au musée du Jeu de paume à Paris pendant le Seconde Guerre mondiale. La réalisatrice mène des recherches sur Rose Valland et, tout au long du récit, les vies de ces femmes se mêlent. La première voudrait faire connaître l’histoire de l’attachée de conservation, que ce soit dans son travail ou à travers l’originalité de ses choix dans sa vie privée. L’histoire de Rose Valland est aussi celle d’une transfuge de classe : issue d’un milieu modeste, elle poursuit des études et se fait recruter au Jeu de paume, chose assez rare pour une femme à l’époque. Ainsi découvrons-nous au fil des pages la difficulté pour une femme de travailler dans le milieu de la culture dans la première moitié du 20e siècle. Rose n’est apparemment pas payée au début de sa carrière et son nom figure assez rarement dans les catalogues des expositions d’art dont elle est pourtant commissaire. Pendant l’Occupation, elle liste les œuvres pillées par les Allemands dans la France entière et entreposées au Jeu de paume, avant leur départ en Allemagne. Grâce aux fiches de Rose, les œuvres seront retrouvées à la fin de la guerre. De son côté, la réalisatrice est une femme tiraillée entre sa carrière et son désir de maternité. Quadragénaire, le temps est compté pour mettre en œuvre ce dernier projet. Une enquête passionnante qui entremêle deux destins de femmes et met en lumière le parcours d’une grande résistante. À la Bpi, niveau 3, 840"20" FAVI 4 LI

Échecs, de Stefan Zweig, traduit par Jean-Philippe Toussaint, Minuit, 2023 [1943] Au début de la pandémie de Covid-19, trois projets viennent à l’esprit de Jean-Philippe Toussaint pour mieux supporter le confinement. L’un d’eux est de proposer une nouvelle traduction du Joueur d’échecs de Stefan Zweig (1943). Quel choix opportun ! La nouvelle de Zweig met justement en scène un personnage qui se retrouve enfermé sans la moindre possibilité de distraire son esprit : pas une ligne à lire, pas une image, rien d’autre que les quatre murs de la chambre où il est maintenu en détention. Un jour, il arrive à dérober un livre ! Joie immense ! Au début, il est pourtant déçu car il s’agit d’un manuel d’échecs. Cependant, ce livre va le sortir de l’isolement qu’il subissait en lui offrant la compagnie d’un autre lui-même, un alter égo avec lequel il joue des parties d’échecs enflammées, au risque de rencontrer un autre écueil : la folie. Pour cette nouvelle traduction, Jean-Philippe Toussaint a choisi le titre simplifié Échecs. Et c’est une nouvelle lecture du texte de Zweig que nous offre l’auteur de L’Échiquier (2023). Ce livre constitue un cadeau parfait pour un·e lecteur·rice qui connaît déjà le texte et qui l’a apprécié dans d’autres traductions. Le traducteur n’hésite pas à simplifier aussi la phrase de Zweig, à la rendre plus moderne, moins datée. De même pour le vocabulaire qui est plus adapté à celui que l’on utilise couramment aujourd’hui. C’est un nouveau texte qu’on lit avec le plaisir de redécouvrir un classique totalement dépoussiéré ! Bientôt à la Bpi

Pisse-Mémé, de Cati Baur, Dargaud, 2023 Marie, Nora et les jumelles Camille et Marthe sont des quarantenaires (ou en passe de l’être) aux vies sensiblement différentes, mais réunies par une amitié de longue date. Comme beaucoup de gens (a fortiori un peu éméchés), elles se prennent un jour à rêver de ce qu’elles feraient si elles gagnaient au loto : ouvrir ensemble un bar à tisanes et bières-librairie-studio de yoga, sous le nom de « Pisse-Mémé ». Un burnout, une grossesse et surtout un héritage plus tard, elles se décident à changer de vie ensemble en concrétisant ce projet. Mais il semble toujours leur manquer un morceau du puzzle, un petit supplément de sens… qui les pousse à explorer aussi bien leurs envies réelles que l’histoire familiale derrière cet héritage, afin de trouver enfin, peut-être, leur identité. On prend plaisir à se lancer dans l’aventure Pisse-Mémé, avec ses héroïnes hautes en couleurs et si contemporaines. Portée par une bonne dose de sororité et d’humour, l’histoire fait des détours bienvenus dans les parcours et convictions personnelles de chacune, donnant beaucoup de relief à l’ensemble.

Les Évaporés, d'Isao Moutte, Sarbacane, 2023 Après le remarquable Clapas, thriller montagnard en plein Vercors, Isao Moutte, jeune auteur de BD franco-japonais, s’attaque à l’adaptation en bande dessinée du roman de Thomas B. Reverdy, lauréat du prix Joseph Kessel en 2014. Entre Paris et le Japon, on suit les destinées entrecroisées de trois personnages : Yukiko, japonaise devenue serveuse à Paris ; son père, « salary man » disparu du jour au lendemain ; et Akainu, un jeune garçon rescapé de la catastrophe de Fukushima. Au Japon, ceux que l’on appelle « les évaporés », ces disparus volontaires, s’éclipsent dans la nuit sans laisser de traces, et sans que la police intervienne car il n’y a pas de crime. Sur les pas de ces trois protagonistes, au fil de l’enquête menée par la jeune fille pour retrouver son père dans un Tokyo interlope, on en apprend un peu plus sur le Japon contemporain, ses zones d’ombre, ses compromissions, ses petits trafics et ses bouffées d’humanité. Le dessin noir et blanc d’Isao Moutte, à la fois sobre et précis, tout en hachures frémissantes, restitue avec finesse et sensibilité cette quête initiatique, pudique et bouleversante.

Protocole commotion, de Mademoiselle Caroline, Delcourt, 2023 Injonctions à la maternité, remarques sur son physique, patron tyrannique, petit ami vissé à son canapé… La vie quotidienne de Malou, 24 ans, est une suite quasi ininterrompue de brimades et d’humiliations. Malou encaisse, en silence. Heureusement, il y a sa bande de copines du « club de la lose » et, surtout, la découverte imprévue d’un sport qui va changer sa vie : le rugby. En s’entrainant avec les filles du club, Malou va s’affirmer, découvrir que son poids peut être un atout plus qu’une faiblesse, se rouler dans la boue avec délectation, éprouver la force du collectif et la solidarité du groupe et se sentir, enfin, à sa place. Mademoiselle Caroline, alias Caroline Capodanno, publie des bandes dessinées depuis une vingtaine d’années, souvent sur des sujets d’inspiration autobiographique, comme la maternité ou la dépression. Elle propose ici une tranche de vie sensible et incarnée, le parcours initiatique d’une jeune fille d’aujourd’hui, qui apprend à résister avec courage et audace aux injonctions qu’elle subit. C’est aussi une plongée pleine d’empathie dans l’univers du rugby, que l’autrice connait bien. Le dessin, minimaliste, est vif et plein d’humour. Les couleurs en aplats, les jeux de trame, et les dégradés, concourent à l’univers finalement plutôt pop et joyeux de ce récit d’émancipation féminine par le sport.

Jaguarman, de Raoul de Jong, Buchet-Chastel, 2023 Tout est parti d’un message de son père après vingt-huit ans d’absence : Raoul de Jong, fils d’une Néerlandaise et d’un Surinamais, décide de rechercher ses origines paternelles. Les rares ouvrages sur le Suriname qu’il consulte à Rotterdam ne lui suffisant pas, il s’envole pour Paramaribo et passe trois mois dans le pays. Ses connaissances s’accroissent par des lectures et consultations d’archives, ainsi que par des rencontres d’intellectuel·les, journalistes et autochtones. Il entame ensuite un voyage au cœur de la forêt amazonienne, où il se confronte à l’hostilité de la nature et des animaux et vit une véritable aventure spirituelle. Dans ce roman, le premier traduit en français, Raoul de Jong s'adresse directement à l’Homme-jaguar, ancêtre capable de se métamorphoser en l’animal le plus puissant d’Amazonie. Il lui narre son chemin initiatique dans le winti, religion afro-surinamaise, et lui confie ses réflexions sur la traite négrière, l’indépendance du pays gagnée en 1975, le racisme des Néerlandais·es face aux Surinamais·es installé·es aux Pays-Bas, la perte des traditions ancestrales ou la lutte contre la déforestation. Raoul de Jong dresse aussi un panorama d’auteur·rices d’origine surinamaise, dont les portraits dessinés ponctuent le livre. À la Bpi, niveau 3, 839.31 JONG.R 4 JA

L'Expérience des fantômes, de Fabrice Humber, Gallimard, 2023 À presque 59 ans, John Franklin est un explorateur britannique au palmarès bien fourni. Considéré comme un héros après une expédition terrifiante dans les contrées glacées du Canada, il aurait mérité une retraite paisible, mais sous l’impulsion de sa seconde épouse, il décide de tenter une ultime aventure. Le voici donc qui s’engage de nouveau à la tête d’un nombreux équipage dans le Grand Nord américain. Deux ans plus tard, alors qu’il ne donne plus signe de vie depuis des mois, il apparaît à Lady Jane Franklin, son épouse, sous la forme d’un ectoplasme. Troublée, celle-ci engage des démarches pour le retrouver. Elle poursuivra ce but pendant dix ans, remuant tous les étages de l’amirauté, demandant l’assistance de « clairvoyants » et allant jusqu’à solliciter le Tsar en personne. Roman d’aventure qui retrace, au cœur de l’époque victorienne, le destin d’un des plus grands explorateurs britanniques, L’Expérience des fantômes est également le portrait d’une femme déterminée au caractère bien trempé, qui confond amour et orgueil, et dont les tentatives désespérées de sauvetage de l’époux disparu cachent mal une irrépressible soif de gloire. Le souci du détail et la justesse de la reconstitution nous amènent à côtoyer la souffrance et la peur de ces hommes, mais également à nous asseoir à la table des médiums et à participer à leurs pratiques occultes. Devant le monde invisible, la raison vacille tout en continuant à exiger toujours plus d’exploits.

Reste, d'Adeline Dieudonné, L'Iconoclaste, 2023 S. est la maîtresse de M., qui meurt d’une crise cardiaque lors d’une échappée amoureuse. Tétanisée, S. ne voit qu’une chose à faire : garder le corps, puis l’emporter avec elle. Lors de cette fuite, elle écrit deux longues lettres à l’épouse du défunt, où elle raconte ce qu’elle vit heure par heure depuis le décès de son amant. Ces lettres sont construites comme un journal intime où l’absurdité de la situation (comment M. a-t-il pu mourir aussi brusquement ?) se mêle au passé de S. et à ses folles tentatives pour garder le corps du défunt auprès d’elle. On perçoit toute sa douleur de n’être que la maîtresse, d’avoir un rôle qui la condamne au secret, à l’invisibilité. Sachant qu’elle n’aurait jamais eu le droit d’assister aux obsèques de l’homme qu’elle aime, S. décide de passer encore un peu de temps à ses côtés, pour lui dire lentement au revoir. Adeline Dieudonné a la délicatesse de ne pas condamner la narratrice, mais ne l’innocente pas non plus : elle décrit admirablement ce que l’on peut être poussé·e à faire lorsque l’on perd pied. Le choc émotionnel fait vaciller la protagoniste, personnage tragique qui crie son amour avec désespoir. Captivant, ce troisième roman de l’autrice belge remue et questionne plus qu’on ne pourrait le croire au premier abord. À la Bpi, niveau 3, 840"20" DIEU 4 RE

Day to Night, de Stephen Wilkes, Taschen, 2023 Stephen Wilkes nous propose une compilation de photographies au format panoramique, dans lesquelles on assiste littéralement à la tombée de la nuit. Les lieux les plus touristiques, traversés par la foule, sont montrés simultanément de jour et de nuit : le Grand Canyon, le Vatican, ou encore Central Park, plongez-vous dans la magie de la tombée de la nuit. Prises par Stephen Wilkes entre 2009 et 2019, les photographies montrent la complexité d’un lieu et tentent d’arrêter le temps. L'artiste s'est en effet toujours intéressé à l’idée de recomposer ses photos en les compilant. Il nous offre ici un dégradé temporel qui tente de montrer chaque instant d’un lieu, rappelant l'exercice de style littéraire de Michel Butor dans Passage de Milan (1954). Ce livre en grand format saura vous dépayser, avec des images de villes telles que New York, point de départ et d’arrivée du livre, mais aussi des photographies de la vie sauvage dans la savane ou encore de champs de tulipes en Hollande. Stephen Wilkes nous fait ainsi voyager autour du monde, en suivant le cours du temps. À la Bpi, niveau 3, 77.49 WIL

Le Jardin des utopies, d'Adrien Lagnier, Tana, 2023 « Opération “Poulettes Palace” ou l’art d'accueillir des emplumés », « Dépasser les facteurs limitants ou l’art d’optimiser son jardin potager », « Structurer des jardins ou l’art d’accompagner une enfance »… Le sommaire du Jardin des utopies donne matière à « cultiver son univers », comme l'indique le sous-titre du livre. « Il existe des voyages sans retour… le jardin en est un », nous dit Adrien Lagnier. Sur un ton drôle et poétique, plus proche d’un traité de philosophie que d’un manuel de jardinage, l’auteur nous emmène au cœur d’une forêt bretonne, là où il a planté le décor de ses rêves. Dans ce lieu de contemplation et de rêverie, l’esthétisme cohabite avec l’abondance nourricière et la diversité végétale. Des plantes bio-indicatrices aux petites machinations subtiles, l’auteur dévoile tous ses secrets pour un voyage sensoriel, animé par le désir d’explorer une voie de résilience où la nature retrouverait toute sa place. L’auteur-artiste-jardinier est un créateur aux multiples casquettes. Tour à tour sculpteur, décorateur, illustrateur (notamment pour son propre livre), il a commencé son odyssée « jardinesque » dans un petit jardin d’Île-de-France qu’il a transformé en « jardungle » abondant et nourricier. Avec Le Jardin des utopies, Adrien Lagnier met ses talents d’observateur et de bricoleur, développés dans une école d’art, au service de son projet, et nous invite à tourner les pages de cet univers artistique coloré et drôle pour développer notre imaginaire et bâtir notre propre utopie. Bientôt à la Bpi, niveau 3, 721.8 LAG

Jaguarman, de Raoul de Jong, Buchet-Chastel, 2023 Tout est parti d’un message de son père après vingt-huit ans d’absence : Raoul de Jong, fils d’une Néerlandaise et d’un Surinamais, décide de rechercher ses origines paternelles. Les rares ouvrages sur le Suriname qu’il consulte à Rotterdam ne lui suffisant pas, il s’envole pour Paramaribo et passe trois mois dans le pays. Ses connaissances s’accroissent par des lectures et consultations d’archives, ainsi que par des rencontres d’intellectuel·les, journalistes et autochtones. Il entame ensuite un voyage au cœur de la forêt amazonienne, où il se confronte à l’hostilité de la nature et des animaux et vit une véritable aventure spirituelle. Dans ce roman, le premier traduit en français, Raoul de Jong s'adresse directement à l’Homme-jaguar, ancêtre capable de se métamorphoser en l’animal le plus puissant d’Amazonie. Il lui narre son chemin initiatique dans le winti, religion afro-surinamaise, et lui confie ses réflexions sur la traite négrière, l’indépendance du pays gagnée en 1975, le racisme des Néerlandais·es face aux Surinamais·es installé·es aux Pays-Bas, la perte des traditions ancestrales ou la lutte contre la déforestation. Raoul de Jong dresse aussi un panorama d’auteur·rices d’origine surinamaise, dont les portraits dessinés ponctuent le livre. À la Bpi, niveau 3, 839.31 JONG.R 4 JA

Protocole commotion, de Mademoiselle Caroline, Delcourt, 2023 Injonctions à la maternité, remarques sur son physique, patron tyrannique, petit ami vissé à son canapé… La vie quotidienne de Malou, 24 ans, est une suite quasi ininterrompue de brimades et d’humiliations. Malou encaisse, en silence. Heureusement, il y a sa bande de copines du « club de la lose » et, surtout, la découverte imprévue d’un sport qui va changer sa vie : le rugby. En s’entrainant avec les filles du club, Malou va s’affirmer, découvrir que son poids peut être un atout plus qu’une faiblesse, se rouler dans la boue avec délectation, éprouver la force du collectif et la solidarité du groupe et se sentir, enfin, à sa place. Mademoiselle Caroline, alias Caroline Capodanno, publie des bandes dessinées depuis une vingtaine d’années, souvent sur des sujets d’inspiration autobiographique, comme la maternité ou la dépression. Elle propose ici une tranche de vie sensible et incarnée, le parcours initiatique d’une jeune fille d’aujourd’hui, qui apprend à résister avec courage et audace aux injonctions qu’elle subit. C’est aussi une plongée pleine d’empathie dans l’univers du rugby, que l’autrice connait bien. Le dessin, minimaliste, est vif et plein d’humour. Les couleurs en aplats, les jeux de trame, et les dégradés, concourent à l’univers finalement plutôt pop et joyeux de ce récit d’émancipation féminine par le sport.

Une saison en enfer, d'Arthur Rimbaud, photographies et dessins de Patti Smith, Gallimard, 2023 Quel merveilleux cadeau de Noël que cette superbe édition d'Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud (1873), agrémentée par des textes, des photos et des dessins d'une rimbaldienne absolue, Patti Smith. La chanteuse étasunienne nous offre une magnifique vision de « son » Rimbaud, auquel elle voue un véritable culte depuis l'adolescence. Elle a même racheté le lieu où avait vécu la mère de Rimbaud et où celui-ci avait écrit Une saison en enfer. Sur la couverture, elle pose avec le revolver qu'utilisa Verlaine contre son amant, alors que celui-ci venait de lui annoncer qu'il le quittait, ne le blessant que légèrement (fort heureusement). De par ce lien sensible et inspirant, Patti Smith parle de Rimbaud tel un compagnon de vie, en qui elle reconnait un modèle qui la bouleversa et avec qui elle est toujours en dialogue, comme on peut continuer à dialoguer avec des êtres chers mais malheureusement disparus. Cette édition est une invitation à lire et à relire le verbe enivrant de Rimbaud et donne à voir non seulement Une saison en enfer, mais aussi les poèmes préférés de Patti Smith, la correspondance du poète avec les siens, les fac-similés des textes originaux… « Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. »

Leçons, de Ian McEwan, Gallimard 2023

Alors que le nuage de Tchernobyl menace le ciel de Londres, Roland Baines, 34 ans, découvre que sa femme Alissa est partie, le laissant seul avec leur bébé. Elle lui envoie des cartes d’Allemagne, où vivent ses parents et où elle souhaite se consacrer à l’écriture. Roland se met alors à repenser à son passé, son enfance en Libye avec un père militaire sévère et une mère aimante, sa jeunesse solitaire en pension dans la campagne anglaise et surtout, sa professeure de piano qui abusa de lui en lui imposant une relation sous emprise qu’il cherche à analyser et à relier aux événements marquants de sa vie. Ce roman ambitieux et foisonnant couvre huit décennies qui mêlent la vie intime de Roland et de ses proches à la grande Histoire, de la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide à l’épidémie de Covid. McEwan dépeint Roland en éternel insatisfait, passant d’un métier ou d’une passion à l’autre. Le récit explore les conséquences d’une relation toxique, la découverte de secrets de famille, les espoirs déçus. À travers l’histoire des parents d’Alissa se dessine la tragédie des résistants allemands de La Rose blanche qui ont lutté contre le pouvoir nazi. Les passages sur les relations parents-enfants, empreints de tendresse ou de cruauté, sont décrits avec justesse. La description des amis est-allemands menacés par la Stasi et les scènes de retrouvailles sont très émouvantes. Le roman offre aussi une réflexion sur la mémoire et l’écriture.

Dans l’Himalaya, sur les pentes du Cho Oyu (8 188m), Walter, un grimpeur de renom, chemine une dernière fois, convoquant ses fantômes : aîné·es prestigieux·ses (de nombreuses femmes peuplent ce panthéon d’alpinistes), compagnons de cordée, santé et jeunesse envolées. Mieux que le blizzard soufflant sur les arêtes enneigées, le récit de Walter décape l’épaisse couche d’égotisme et le lyrisme suspect qui lestent parfois la littérature de montagne. La « conquête de l’inutile » chantée par Terray se révèle ici vaine, contraire à toute l’ascèse revendiquée. Est-il bien vrai, comme on aime à se le répéter avant toute ascension risquée, que « la montagne sauve plus de vies qu’elle n’en prend » ? Ce pourrait être un jeu sublime, c’est l’extrême comble du divertissement - qu’exploitent en ces lieux une industrie et des pratiques coloniales. Une quête dont le prix ne cesse de s’élever. Si l’alpinisme fut un art, l’histoire de cet homme perdu nous apprend que c’est au sens de Baudelaire : « l’enfance retrouvée ». Mais de retour au sommet d’un énième 8000, la joie est-elle vraiment plus grande que sur un pont de Hollande où Walter et son ami Lenny, deux alpinistes en herbe, escaladaient leurs premières longueurs ?

Dette d'oxygène, de Toine Heijmans, Belfond, 2023

À la Bpi, niveau 3, 839.31 HEIJ 4 ZU