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Comment analyser (sérieusement) le marché du travail ?
ludovic-vde
Created on June 30, 2023
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Transcript
Raphaël DIDIER (2011), Dictionnaire révolté d'économie, Bréal, pp. 58, 121, 382.
Capture d'écran, Datagueule, "Chômage, mirages, naufrages", 14 juin 2019.
c'est parti !
"Chômeur : Dans la tête de certains économistes ou hommes politiques, membre de la population active qui ne souhaite pas travailler. [...]""Emploi : Denrée rare qui s'obtient souvent avec un salaire au rabais. [...]""Travail : "Bon pour la santé" paraît-il, mais ne pas en avoir permettrait de la conserver, selon Henri Salvador... [...]"
Comment analyser (sérieusement) le marché du travail ?
Sommaire
Afin d'éviter d'alourdir des diapositives déjà très fournies, les sources des citations et des données sont signalées par l'icône , les renvois vers les vidéos sont signalés par l'icône , on trouve des liens avec l'icône , et un approfondissement avec l'icône .
Conclusion
11
Plein emploi et qualité de l'emploi
10
Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
09
Une autre vision du marché du travail
08
La porosité des catégories
07
L'angle mort : la population active
06
Taux de chômage ou taux d'emploi ?
05
Indicateurs statistiques
04
Premières données statistiques
03
Quelques définitions
02
Introduction
01
01
Dans les discours de sens commun, médiatiques ou politiques, l'analyse du marché du travail est souvent réduite à celle du chômage ; comme celui-ci peut être défini comme la privation involontaire d'emploi, l'objectif de sa réduction ne souffre aucune contestation, et l'on s'en tient là. Comme un syllogisme : i) le chômage résume le marché du travail ; ii) le chômage est quelque chose de mauvais ; iii) donc, la diminution du chômage est le signe d'un marché du travail qui fonctionne bien. En d'autres termes : plus le chômage diminue, plus l'on se rapproche du plein emploi.Dès lors que le chômage diminue, toute revendication ou critique concernant les conditions de travail, le revenu (actuel ou différé) du travail, la précarité du travail, devient inaudible, incompréhensible, inintelligible : si le chômage diminue, c'est que nous nous rapprochons du plein emploi. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Introduction
01
Introduction
"[Il y a] des centaines de milliers d'emplois non pourvus dans notre pays."
S. Agresti-Roubache, 27 juin 2023
Sabrina Agresti-Roubache, Députée Renaissance
"[L]e Président de la République a raison [...], moi en tant que député [...] je reçois des tas de mails, de beaucoup [...] de chefs d'entreprise qui n'arrivent pas à recruter ! Je vous donne un chiffre : 700 000 emplois non pourvus [...]. Nous sommes dans une phase [proche] du plein emploi."
E. Macron, 26 juin 2023
"Quand j'étais plus jeune, je disais de traverser la rue. [...] Je fais le tour du Vieux Port ce soir avec vous, je suis sûr qu'il y a dix offres d'emploi."
O. Dussopt, 23 mai 2023
Olivier Dussopt, Ministre du Travail
"Depuis six ans, nous avons un objectif qui est le plein emploi et cet objectif [est] plus proche que jamais [...]"
E. Macron, 22 mars 2023
"[Depuis 2017] On mène cette bataille du plein emploi [et] on est en train de la réussir collectivement : on est passé de 9 % de chômage à 7 % aujourd'hui ; les plus de 50 ans [...] sont à 5 % de taux de chômage, le plus bas depuis plus de quinze ans ; et on a le taux de chômage des jeunes le plus bas depuis des décennies ; on a le taux d'activité le plus élevé depuis qu'on le mesure."
E. Macron, 9 novembre 2021
"Notre économie crée des emplois comme jamais. Au point que [dans certains secteurs] tous les entrepreneurs me disent peiner à recruter [...]. Au moment où [il y a] trois millions [de chômeurs], cette situation heurte le bon sens."
E. Macron, 15 septembre 2018
"Je traverse la rue, je vous en trouve [des offres d'emplois] !"
Emmanuel Macron, Président de la République
01
Introduction
C'est cette courbe qu'en général on commente : elle représente l'évolution du taux de chômage en France depuis 1975 (on aurait aussi pu représenter l'évolution du nombre de chômeurs, qui est sensiblement la même). Parfois, ce sont les chiffres du Pôle Emploi qui sont commentés (nous y reviendrons). Ainsi, en 2022, le taux de chômage s'établit à 7,3 % de la population active.En réalité, les "chiffres du chômage", s'ils sont importants, ne suffisent pas à analyser la situation sur le marché du travail. Il convient donc d'approfondir l'analyse. C'est l'objet de cette fiche.
02
Quelques définitions
L'emploi est donc une activité rémunérée et incluse dans un cadre institutionnel donné (notamment celui du salariat).
L'emploi est la force de travail transformée en marchandise, vendue sur le marché et régie par un contrat.
Par conséquent, le travail ne se confond pas avec l'emploi : dans les sociétés occidentales contemporaines, le travail a pris la forme de l'emploi, lequel n'a pourtant pas complètement détruit les autres formes que peut prendre le travail.
L'emploi
D2
Le travail est un terme polysémique qui signifie à la fois une activité (de production de richesses), le résultat de cette activité (les richesses produites), le rapport social qui s'établit lors de cette activité, et le statut obtenu lors de cette activité.
Pour utiliser les termes avec rigueur, encore faut-il les définir avec rigueur.
Le travail
D1
02
Quelques définitions
On distingue ainsi les actifs occupés (en emploi) et les actifs inoccupés (les chômeurs).
Autrement dit, c'est la somme de ceux qui occupent un emploi et de ceux qui en sont involontairement privés (chômeurs).
Cette définition de l'activité exclut une partie importante de l'activité réelle de travail, en premier lieu le travail domestique et le travail bénévole, mais aussi les individus considérés comme inactifs alors qu'ils sont, de manière invisible, actifs (les travailleurs au noir, les chômeurs découragés, les travailleurs empêchés, etc.). Par ailleurs, dans une définition restrictive, le plein emploi est la situation où le taux de chômage est incompressible : il se réduit au chômage frictionnel et au chômage "volontaire". En d'autres termes, "il y a toujours plus d'emplois vacants que de personnes au chômage".
Le chômage regroupe les individus qui n'occupent pas d'emploi, sont disponibles pour en occuper un et en recherchent un activement.
Le chômage
D4
La population active regroupe les individus présents sur le mal nommé marché du travail, c'est-à-dire la force de travail disponible.
La population active
D3
03
Premières données statistiques
Ainsi, selon l'Insee, en 2022, il y a en France 54,4 millions de personnes en âge de travailler de 15 ans et plus (dont 40,8 de 15 à 64 ans) et 30,6 millions d'actifs de 15 ans et plus (dont 30,0 de 15 à 64 ans). Cette population active est composée de 28,3 millions d'actifs occupés (personnes en emploi) de 15 ans et plus (dont 27,8 de 15 à 64 ans) et de 2,2 millions d'actifs inoccupés (chômeurs) de 15 ans et plus (dont 2,2 de 15 à 64 ans). A partir de ces données, nous allons pouvoir mesurer plusieurs grandeurs statistiques utiles.
04
Indicateurs statistiques
Il convient d'être vigilant dans l'interprétation : ce n'est pas 7,3 % des individus de 15 ans et plus qui est au chômage, mais 7,3 % des actifs de 15 ans et plus, ce qui est très différent. Le dénominateur est en effet le nombre d'actifs total, non la population en âge de travailler. Cette erreur est souvent commise lorsque l'on évoque le chômage des jeunes ou des femmes (nous y reviendrons). Il est donc nécessaire de ne pas se contenter de cet indicateur.
Le premier indicateur, dont on a déjà parlé, est le taux de chômage (u), que l'on peut définir comme le rapport entre le nombre d'actifs inoccupés (chômeurs) et le nombre d'actifs total. Ainsi, en 2022, le taux de chômage des actifs de 15 ans et plus s'élève à 7,3 %.
Au moins trois indicateurs statistiques sont utiles pour mieux analyser le marché du travail, qu'il convient, là encore, de manipuler avec rigueur.
Le taux de chômage (u)
04
Indicateurs statistiques
On remarque que ces deux indicateurs ont le même dénominateur : les personnes en âge de travailler (c'est-à-dire d'âge actif). Deux mesures existent pour dénombrer cette population : d'une part 15 ans et plus, d'autre part de 15 à 64 ans, mais par convention, on mesure souvent cette population par le nombre de personnes âgées de 15 à 64 ans. Ainsi, en 2022, 73,6 % des personnes âgées de 15 à 64 ans sont actifs et 68,1 % sont en emploi.
Le taux d'emploi (e)
Le taux d'activité (a) est le rapport entre le nombre d'actifs total et le nombre de personnes d'âge actif, et permet de rendre compte de la part des personnes d'âge actif effectivement actives.
Le taux d'emploi (e) est le rapport entre le nombre d'actifs occupés et le nombre de personnes d'âge actif, et permet de rendre compte de la part des personnes d'âge actif en emploi.
Le taux d'activité (a)
04
Indicateurs statistiques
Pour information, voici l'évolution du taux d'activité et du taux d'emploi des 15-64 ans depuis 1975 en France. On observe une baisse des deux taux à partir du début des années 1980, qui s'explique notamment par la massification scolaire et la baisse de l'âge de la retraite à 60 ans (ainsi que par les dispositifs de pré-retraite). L'augmentation des taux, surtout le taux d'emploi, à partir des années 2000, s'explique par la période de croissance de la fin des années 1990, par les réformes de la retraite et par le développement de la flexibilité de l'emploi (nous y reviendrons).
05
Taux de chômage ou taux d'emploi ?
Depuis plus de vingt ans, la traduction quantitative des objectifs de plein emploi recommandés par l'OCDE ou l'Union européenne par exemple, "contrairement à la conception traditionnelle du plein emploi [...] n'est [plus] donnée sous la forme d'un taux de chômage (que l'on viserait à [réduire]), mais sous celle d'un taux d'emploi que l'on se propose d'augmenter." On pourrait penser que la raison pour laquelle "l'objectif de plein emploi [n'a pas été] associé à la réduction chiffrée du taux de chômage [mais à l'accroissement du taux d'emploi]" est d'ordre technique ; mais l'économiste Jacques Freyssinet souligne que l'utilisation du taux de chômage ou du taux d'emploi relève en fait d'enjeux politiques.
Dessin de Deligne
05
Taux de chômage ou taux d'emploi ?
Jacques Freyssinet
Jacques Freyssinet écrit encore : "Accroître le taux d'emploi implique donc, d'un côté, que l'on stimule la création d'emploi en réduisant le coût salarial et en rendant plus flexibles les conditions d'usage de la main-d'oeuvre, de l'autre, que l'on intensifie la mobilisation des sources de main-d'oeuvre grâce à des incitations au travail et à des contraintes pour faire accepter les emplois disponibles."
Ce changement d'objectif peut s'expliquer par la difficulté de réduire les taux de chômage européens, notamment en rapport à la situation états-unienne (on parlait alors d' "eurosclérose"), par l'interprétation "progressiste" que l'on peut avoir d'un objectif de hausse du taux d'emploi, et par l'application "néo-libérale" que l'on peut donner de cet objectif.
06
L'angle mort : la population active
Intuitivement, on pourrait penser que lorsque le taux de chômage baisse, c'est parce que le taux d'emploi augmente, et inversement. Une relation simple permet néanmoins de comprendre que c'est plus compliqué (voir post-it). Cette relation montre que le taux de chômage et le taux d'emploi ne varient en sens inverse qu'à la seule condition que le taux d'activité soit constant. On comprend dès lors l'importance de l'évolution du taux d'activité. Une variation du taux d'activité rend possible une hausse (ou une baisse) simultanée des taux de chômage et d'emploi.
la formule :
e = a (1 - u) <=> u = 1 - (e / a)
La clé d'interprétation du taux de chômage (u) et du taux d'emploi (e) réside dans le taux d'activité (a). Comme le dit le journaliste Alexandre Milicourtois, la population active est l' "angle mort du commentaire du taux de chômage".
06
L'angle mort : la population active
Capture d'écran modifiée, Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", septembre 2017.
Prenons un exemple chiffré. En 2022, selon l'enquête Emploi de l'Insee, les jeunes de 15-24 ans représentent 7 844,5 milliers de personnes, dont 3 314,2 milliers d'actifs (2 739,8 milliers en emploi et 574,4 milliers au chômage). Parmi les 4 530,3 mlliers d'inactifs, seuls 218,6 milliers ne sont ni en étude ni en formation (voir encadré page suivante).
Il est donc important d'étudier l'évolution de la population active, celle-ci pouvant être impactée par l'évolution du solde naturel (taux de natalité et de mortalité) et du solde migratoire, par l'évolution de l'âge d'entrée (poursuite d'études) et de sortie de la vie active (réforme des retraites), par la modification des comportements d'activité des hommes et des femmes (liés notamment à la division sexuelle des tâches, à l'émancipation féminine), etc.
06
L'angle mort : la population active
Une nouvelle catégorie : les NEETLe nombre de jeunes "NEET" (neither in employment nor in education or training : ni en emploi ni en étude ni en formation) est de 793 milliers en 2022 (Enquête emploi 2022, Insee). "Ce concept est utilisé pour mesurer le nombre de jeunes en difficulté d'insertion : ceux qui sont au chômage ou inactifs sans pour autant être intégrés dans un dispositif de formation. [Les situations demeurent disparates] : des [jeunes] fraîchement diplômés en recherche d'emploi et des jeunes chômeurs de longue durée, des jeunes mères de famille qui ont arrêté de travailler, comme des jeunes qui ont complètement décroché et ne recherchent ni emploi ni formation."
Le taux de chômage des jeunes 15-24 ans est donc de 17,3 %, ce qui est élevé. Leur taux d'emploi est seulement de 34,9 %, ce qui est faible. Comment expliquer cette situation ? C'est simple : la majorité des jeunes est en études ou en formation, c'est-à-dire inactive : seulement 42,2 % des jeunes sont actifs. On comprend l'importance de ne pas se limiter au taux de chômage ou au taux d'emploi pour analyser la situation des jeunes sur le marché du travail.
06
L'angle mort : la population active
La vie prolongée d'étudiant démuni peut fort bien ne pas produire les bénéfices escomptés. Mais il n'y a guère d'autre choix que de continuer, faute d'emploi."
Louis Chauvel
Restons prudents : "[L]e lien mécanique entre le niveau d'éducation d'une cohorte et la position socioprofessionnelle d'une cohorte s'est brisé pour ceux nés après 1950, le niveau scolaire exigé pour une place de cadre ou de profession intermédiaire s'élevant rapidement.
Ce n'est effectivement pas 17,3 % des jeunes qui est au chômage, mais 17,3 % des jeunes actifs : la majorité des jeunes étant inactive (57,7 % des jeunes), ils sortent des statistiques de l'activité, ce qui fait augmenter leur taux de chômage par la faiblesse du dénominateur (la population active).Si l'on souhaite mesurer la part des jeunes au chômage, il faut rapporter le nombre de chômeurs à la population en âge de travailler : ce qu'on appelle le ratio de chômage s'élève ainsi à 7,3 %. Pour cette catégorie d'âge, le calcul de ce ratio est pertinent si l'on considère que les individus en étude ou en formation (4 311,7 milliers, soit 55,0 % des jeunes et 95,2 % des jeunes inactifs) s'inséreront plus facilement sur le marché du travail une fois diplômés et formés (voir ci-contre).
06
L'angle mort : la population active
Si les premiers peuvent rencontrer certaines difficultés d'insertion sur le marché du travail et être confrontés un temps au risque de ne pas trouver d'emploi à hauteur de leurs qualifications, les seconds sont quant à eux promis à des trajectoires particulièrement heurtées, marquées par l'alternance d'emplois précaires et de périodes de chômage en fonction des aléas de la conjoncture économique."
Le sociologue Camille Peugny précise : "S'il est une frange sacrifiée de la jeunesse, elle est constituée de ces jeunes [...] peu ou pas diplômés. Le clivage entre les diplômés de l'enseignement supérieur et les vaincus de la compétition scolaire est particulièrement marqué en France, dans une société dont les verdicts scolaires sont trop souvent définitifs et dans laquelle une seconde chance est loin d'être systématiquement proposée.
Camille Peugny
Ainsi, pour les jeunes, le chômage est bien un problème (le taux de chômage est de 17,3 %), mais moins un problème pour les jeunes en général (car le chômage ne concerne que 7,3 % des jeunes) que pour les jeunes actifs, c'est-à-dire en particulier les jeunes déscolarisés et/ou avec peu ou pas de diplômes, peu ou pas formés, qui sont sortis des études et sont donc dans l'activité. Cette interprétation est corroborée par le fait que la probabilité de connaître une situation de chômage est d'autant plus faible qu'une personne est diplômée.
06
L'angle mort : la population active
Rappels des données (jeunes de 15-24 ans, en milliers ou en %)
En passant, on aura compris que l'écart entre le taux d'activité et le taux d'emploi donne la part des chômeurs dans la population en âge de travailler, c'est-à-dire le ratio de chômage, et non le taux de chômage (car, pour ce dernier, le dénominateur est la population active). Si l'on reprend les données pour les jeunes : 42,2 % des jeunes sont actifs, 34,9 % des jeunes sont en emploi, et donc 7,3 % des jeunes sont au chômage. Exactement ce que l'on avait calculé. Le taux de chômage peut s'obtenir en rapportant le ratio de chômage au taux d'activité : on retrouve bien 17,3 % des jeunes actifs au chômage.
06
L'angle mort : la population active
Observons maintenant une situation dynamique. Imaginons ces évolutions : la population active passe à 3 700 milliers, le nombre d'emplois passe à 2 900 milliers ; on en déduit le nombre de chômeurs (800 milliers) ; le nombre total d'individus reste constant, c'est-à-dire 7 844,5 milliers. Comment évoluent ces trois taux ? Le taux d'activité passe de 42,2 à 47,2 %, le taux d'emploi passe de 34,9 à 37,0 % et le taux de chômage passe de 17,3 à 21,6 %. Autrement dit, les trois taux augmentent simultanément : il y a à la fois davantage d' "emplois" et davantage de "chômage". Pourquoi ? C'est en fait assez logique : à population en âge de travailler constante, lorsque le taux d'activité augmente, le taux de chômage ne baisse que si le taux d'emploi augmente plus rapidement que le taux d'activité. Il convient donc d'être prudent dans l'analyse, statique comme dynamique, du marché du travail : un taux de chômage faible peut cacher un nombre important de chômeurs "découragés" ou de travailleurs empêchés (donc inactifs ; nous y reviendrons) ; un taux de chômage élevé peut cacher un nombre élevé d'inactifs en études ; un taux d'emploi élevé peut cacher une part importante d'emplois précaires (nous y reviendrons), etc. Voilà pourquoi il est nécessaire de consulter ces trois indicateurs ensemble pour mieux comprendre l'état du marché du travail.
07
La porosité des catégories
Ilustration de Léa Taillefert-Rolland
Afin de bien comprendre la porosité des catégories retenues (ou leur chevauchement, ce qui revient au même), il convient d'abord de connaître la manière dont sont définis et mesurés le chômage et l'emploi.
Toutefois, ces indicateurs ont une limite de taille : ils reposent sur une tripartition stricte de la population entre emploi, chômage et inactivité. Or, nous allons le voir, ces catégories sont en réalité poreuses. L'analyse critique de ces catégories permettra notamment d'effectuer une distinction approximative entre emplois stables et emplois précaires.
07
La porosité des catégories
Jacques Freyssinet
Jacques Freyssinet écrit : "[L]a définition du taux d'emploi, comme celle du taux de chômage, repose sur l'hypothèse d'une tripartition stricte de la population totale entre emploi, chômage et inactivité [en raison de la combinaison entre] une définition extensive de l'emploi et une définition restrictive du chômage. Une personne est classée dans l'emploi dès lors qu'elle a exercé une activité rémunérée, quels qu'en soient le statut et la durée, pendant une période de référence. Une personne n'est considérée comme chômeur que si, privée d'emploi, elle est activement à la recherche d'un emploi et immédiatement disponible pour l'occuper ; sinon elle sera classée comme inactive. [L]es chevauchements entre statuts [sont ainsi] ignorés et [...] le tracé des frontières [est] biaisé. On peut considérer que le taux d'emploi est surévalué et que le taux de chômage est sous-évalué, mais la critique est valable pour les deux indicateurs."
07
La porosité des catégories
Au sens de l'Insee (qui se base sur les critères du Bureau International du Travail), est considérée comme chômeur toute personne qui répond simultanément à trois conditions : n'avoir occupé aucun emploi durant une semaine de référence (ne serait-ce qu'une heure, en-dehors des situations de congés payés, d'arrêt maladie et de congé maternité, etc.), être disponible pour en occuper un dans les quinze jours, et avoir effectué des actes de recherche active d'emploi (prise de contact avec une agence d'intérim, un opérateur de placement (dont Pôle Emploi), contact avec des anciens collègues ou un syndicat, recours aux réseaux sociaux, passage d'un entretien d'embauche ou d'un concours de la fonction publique, dépôt de candidature spontanée, participation à un salon professionnel, passage d'une annonce d'emploi, consultation ou réponse à une annonce, etc.) durant le mois précédent (ou avoir trouvé un emploi qui commence dans les trois mois).
Capture d'écran, Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", septembre 2017.
07
La porosité des catégories
Enfin la recherche d'emploi est, par définition, problématique : l'intensité de l'engagement dans cette activité est variable et fléchit avec la répétition des échecs, les démarches réalisées sont hétérogènes, la volonté de trouver un emploi est difficile à évaluer, et le caractère effectif de cette activité n'est pas aisément mesurable."
La mise en oeuvre du critère de privation d'emploi implique de trancher dans le flou car les contours de l'emploi sont de plus en plus épais, à mesure que progressent le travail à temps partiel contraint ou subi, les activités dites d'insertion, les missions de courte durée, les formes particulières d'emploi hors du salariat (auto-entrepreneur par exemple), etc. De même la disponibilité à travailler est une propriété ambiguë qui peut être affectée de degrés, selon la distance entre l'expérience passée et les opportunités d'emploi ou les contraintes associées aux situations individuelles (état de santé, moyen de transport accessible, isolement relatif du domicile, charges familiales...).
Même si toutes les définitions du chômage s'appuient sur le socle privation d'emploi + disponibilité + recherche, "les procédures et protocoles [de mesure] diffèrent [...]. C'est que toute activité de comptage passe par une succession d'opérations interprétatives.
07
La porosité des catégories
On pourrait tracer les contours de cette norme classique d'emploi : emploi à temps plein, sans période de chômage (ou alors transitoire ou exceptionnelle, largement réservée aux franges les plus démunies et dominées) en raison d'une activité croissante, emploi garant (pour les salariés) par la centralité du CDI ou par le fort développement de l'emploi public, statut protecteur (droit du travail et protection sociale) qui permet l'amélioration des conditions de travail et de rémunération, avec des perspectives relatives d'évolution de carrière et de mobilité sociale (souvent reportée avec espoir sur les générations suivantes qui bénéficient de la massification scolaire).
Un documentaire résume l'évolution de la condition salariale : Il était une fois le salariat (2006).
Trois ouvrages du sociologue Robert Castel traitent de l'évolution de la condition salariale sur plusieurs siècles :
Les métamorphoses de la question sociale en 1995, L'insécurité sociale en 2003, et La montée des incertitudes en 2009.
Il faut ajouter que cette tripartition stricte conforte, dans les représentations, la norme d'emploi (salarié) héritée des Trente Glorieuses, que le sociologue Robert Castel a patiemment analysé (voir post-it). "[L]'inscription d'un "droit au travail" dans la Constitution de 1946 fait de l'Etat le garant du plein emploi et les trois décennies de croissance de l'après-guerre accréditent sa capacité à le faire. C'est dans ce cadre que la norme de l'insertion dans le monde du travail devient le contrat de travail à durée indéterminée [CDI] pour un emploi à temps plein. Mode d'intégration sociale, fondement des droits sociaux, cette norme d'emploi a été longtemps intériorisée par tous."
07
La porosité des catégories
Ainsi, cet effritement de la norme classique d'emploi rend en partie inopérante cette tripartition ; en réalité, les statuts se chevauchent, les catégories sont poreuses.
Comme l'écrit le sociologue Gérard Mauger : "Conséquence des restructurations industrielles et de la lutte pour la compétitivité et de "la réduction du coût du travail" "à l'ère de la mondialisation", de l'internationalisation du marché du travail, des délocalisations et du travail détaché, de la substitution des machines au travail humain, de l'intensification du travail liée à la production en flux tendu et à la réduction régulière des effectifs, du travail gratuit de quasi-salariés (apprentis, titulaires de contrats aidés, stagiaires), sans compter la substitution du travail gratuit réalisé par les clients et usagers au travail rémunéré, le chômage de masse se double désormais de la précarisation du travail [...]."
Gérard Mauger
Or, cette norme classique d'emploi s'est effritée à partir des années 1970, avec le développement du temps partiel et des contrats temporaires (contrat à durée déterminée (CDD), intérim, apprentissage, stages, contrats aidés).
08
Une autre vision du marché du travail
Emploi = 28 341,1
Pop. sans emploi = 26 086,4
Population de 15 ans et plus = 54 427,5
C'est à ce moment-là de la réflexion que l'Enquête emploi de l'Insee est précieuse pour construire une représentation plus complexe, donc plus réaliste, du marché du travail. Pour cela, nous partirons de la population de 15 ans et plus pour la décomposer : en 2022, il y a en France (hors Mayotte) 54 427,5 milliers de personnes de 15 ans et plus. Parmi cette population, il y a 28 341,1 milliers de personnes occupant un emploi et 26 086,4 milliers de personnes n'occupant pas d'emploi (que l'on ne doit pas confondre avec des chômeurs).
08
Une autre vision du marché du travail
Population active = 30 575,5
Chô = 2 234,4
Emploi = 28 341,1
Non Dispo = 476,4
Dispo = 2 234,4
Non recherche = 23 375,6
Recherche = 2 710,8
Emploi = 28 341,1
Intéressons-nous à ceux qui n'occupent pas d'emploi : parmi eux, il y a 2 710,8 milliers de personnes qui recherchent activement un emploi et 23 375,6 milliers qui n'en recherchent pas. Parmi ceux qui recherchent, il y a 2 234,4 milliers de personnes disponibles pour occuper un emploi, et 476,4 milliers qui ne sont pas disponibles. Comme nous l'avons déjà vu, les individus qui cumulent privation d'emploi, disponibilité et recherche active sont ceux qui sont considérés comme des "chômeurs". Nous pouvons donc en déduire la population active : 30 575,5 milliers.
08
Une autre vision du marché du travail
Non Dispo = 476,4
(retraités, étudiants, invalides, parents au foyer, etc.)
Population active = 30 575,5
ND = 660,8
D = 721,6
Souhaite travailler
Ne souhaite pas travailler=21 993,2
Chô = 2 234,4
Emploi = 28 341,1
Non Dispo = 476,4
Non recherche = 23 375,6
Reprenons la population sans emploi ne recherchant pas activement un emploi, au nombre de 23 375,6 milliers. Parmi eux, il y en a 21 993,2 milliers qui ne souhaitent pas travailler, composés des retraités (environ 17 millions à la fin 2021 selon la Drees), des étudiants, des invalides, des parents au foyer, etc. De l'autre côté, il y a donc 1 382,4 milliers de personnes qui souhaitent travailler : 721,6 milliers sont disponibles et 660,8 milliers ne le sont pas.
08
Une autre vision du marché du travail
Le halo a trois composantes :
- la première (halo 1) désigne les individus qui recherchent activement un emploi mais ne sont pas disponibles pour en occuper un dans les deux semaines : ils sont 476,4 milliers ;
- la deuxième (halo 2) désigne ceux qui ne recherchent pas activement un emploi mais sont disponibles : ils sont 721,6 milliers ;
- la troisième (halo 3) désigne ceux qui ne recherchent pas activement un emploi et ne sont pas disponibles même s'ils souhaitent travailler : ils sont 660,8 milliers.
A ce stade, il faut expliquer les dernières données. A côté des chômeurs définis au sens du BIT et de l'Insee, il y a des personnes qui sont considérées comme inactives (car elles ne remplissent pas les critères de définition du chômage) mais sont dans une situation proche du chômage, car elles souhaitent occuper un emploi mais n'en occupent pas. L'Insee appelle cette situation le "halo du chômage".
08
Une autre vision du marché du travail
Capture d'écran modifiée, Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", septembre 2017.
Une partie importante des individus qui composent le halo du chômage sont en fait des "chômeurs découragés" ou des travailleurs empêchés, de sorte qu'ils n'entrent ni dans les statistiques du chômage ni dans celles de la population active.
Les raisons de l'absence de recherche active sont elles aussi diverses : "attente de résultat de démarches antérieures, en études ou en formation, garde d'enfants ou d'une personne dépendante, problèmes de santé, en vacances, pense qu'il n'y a pas d'emploi disponible dans son domaine de compétence, pense ne pas pouvoir trouver d'emploi, etc."
Les raisons de l'indisponibilité pour occuper un emploi au moment de l'enquête de l'Insee sont les suivantes : "fin d'études ou de formation, garde des enfants ou d'une personne dépendante, maladie, vacances, déménagement, etc."
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Une autre vision du marché du travail
Didier Demazière
"Autrement dit, il faut distinguer la recherche active d'un emploi - un comportement qui peut être mesuré et contrôlé - de l'aspiration à travailler, qui ne se traduit pas toujours par une recherche d'emploi effective, mais qui est une situation plus répandue. On pourrait donc considérer tous ceux qui veulent travailler comme des chômeurs. Certes, cela va à l'encontre d'une idée reçue et répandue selon laquelle nombre de chômeurs ne voudraient pas travailler. Mais ce préjugé ne tient pas la route : les enquêtes qualitatives montrent en effet que la privation d'emploi est une épreuve pénible et difficile. Elles révèlent aussi qu'avec le temps, la recherche d'emploi perd de son sens. Quand on a envoyé des dizaines, voire des centaines, de candidatures qui n'ont pas reçu de réponse (ou ont amené des réponses négatives), on perd espoir. Le fait de relâcher l'effort ou d'abandonner toute recherche d'emploi ne signifie donc pas que l'on veut profiter du système, mais bien que l'on a expérimenté la difficulté, voire l'impossibilité pour soi de trouver un emploi." Nous pouvons maintenant revenir au schéma.
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Une autre vision du marché du travail
(étudiants, retraités, invalides, parents au foyer, etc.)
Halo = 1 858,8
Population active = 30 575,5
Autres inactifs
Halo 1 Halo 2 Halo 3
ND = 660,8
D = 721,6
Souhaite travailler
Ne souhaite pas travailler=21 993,2
Chô = 2 234,4
Emploi = 28 341,1
Non Dispo = 476,4
Dispo = 2 234,4
Non recherche = 23 375,6
Recherche = 2 710,8
Emploi = 28 341,1
Pop. sans emploi = 26 086,4
Population de 15 ans et plus = 54 427,5
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Une autre vision du marché du travail
Halo = 1 858,8
SE = 1 304,2
Chô = 2 234,4
Emploi = 28 341,1
L'analyse n'est pas terminée : en effet, parmi les personnes en emploi, il y a aussi, d'une part, celles qui ont involontairement travaillé moins que d'habitude (chômage partiel ou technique), qu'elles travaillent à temps complet ou à temps partiel, d'autre part, celles qui sont à temps partiel involontaire, c'est-à-dire souhaitant travailler davantage et étant disponibles, qu'elles recherchent ou pas un autre emploi. C'est le "sous-emploi" au sens de l'Insee, qui regroupe 1 304,2 milliers de personnes en 2022.
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Une autre vision du marché du travail
Ainsi, en rapportant ce nombre à un dénominateur pertinent (population active + halo : ce que l'Insee appelle "population active au sens large"), le taux de contrainte atteint 16,6 %, ce qui est une approximation restrictive d'une situation que l'on pourrait qualifier de précaire vis-à-vis de l'emploi.
Situations contraintes sur le marché du travail = 5 387,4
Halo = 1 858,8
SE = 1 304,2
Chô = 2 234,4
"Chômage, halo et sous-emploi constituent différentes formes de contraintes rencontrées par les personnes sur le marché du travail, dont l'offre de travail se trouve non utilisée (chômage et halo) ou sous-utilisée (sous-emploi)." Ainsi, 5 387,4 milliers de personnes de 15 ans et plus (2 234,4 milliers au chômage, 1 858,8 milliers dans le halo et 1 304,2 milliers en sous-emploi) sont dans ce que l'Insee appelle pudiquement des "situations contraintes sur le marché du travail".
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Une autre vision du marché du travail
Par conséquent, nous comprenons plus facilement qu'un taux de chômage faible (ou un taux d'emploi élevé) peut, par construction, invisibiliser des situations "contraintes" et qu'il peut exister, malgré un taux de chômage faible, des critiques liées aux conditions de travail, au revenu, à la précarité. Dans les années 1980, l'économiste Jacques Freyssinet avait élaboré un schéma permettant de rendre compte de ces situations de chevauchement entre emploi, inactivité et chômage, de façon plus large, néanmoins, que l'Insee. En effet, nous retrouvons entre le chômage et l'inactivité les personnes dans le halo (préretraités, demandeurs d'emploi dispensés de recherche, chômeurs en formation, personnes en invalidité mais apte au travail) ; entre le chômage et l'emploi les travailleurs en sous-emploi ainsi que les travailleurs en emplois aidés, et certains travailleurs non déclarés ; entre l'emploi et l'inactivité les bénévoles, certains travailleurs non déclarés, les travailleurs en contrat d'alternace, les travailleurs à temps partiel volontaire.
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Une autre vision du marché du travail
Le sociologue Patrick Cingolani, spécialiste de la précarité, a résumé dans un article "les activités [pointées par Robert Castel] qui ne s'inscrivent plus dans une condition salariale à part entière. Déclin du statut de salarié, chômage endémique, développement des emplois atypiques, porosité entre celles-ci et les contrats aidés ou les stages, hors statuts de la fonction publique, font de l'emploi dégradé une norme : le précariat."
Nous pouvons néanmoins tenter d'affiner le diagnostic, en nous appuyant sur la définition que l'Insee donne de la précarité de l'emploi : "La précarité de l'emploi peut être définie comme le fait de ne pouvoir prévoir son avenir professionnel, ni assurer durablement sa protection sociale. Trois critères entrent en ligne de compte pour repérer une situation de précarité : la durabilité de la relation d'emploi, l'unicité de l'employeur et le niveau des revenus. Les intérimaires, les personnes en [CDD], les contractuels et vacataires de la fonction publique, les personnes en contrats aidés, les stagiaires, ainsi que les jeunes en apprentissages [...] ont un statut précaire du fait de la nature de leur contrat de travail. Une bonne part des personnes à temps partiel peuvent aussi être considérées comme étant en situation précaire, lorsque le temps partiel est subi et que leurs revenus d'activité sont, de ce fait, insuffisants [...]. Certaines d'entre elles sont même obligées d'occuper plusieurs emplois simultanément pour subvenir à leurs besoins."
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Une autre vision du marché du travail
Le second est plus prosaïque. En effet, même en-deçà de cette réflexion concernant le choix et la contrainte, un travailleur à temps partiel reçoit, par définition, un revenu partiel qui limite sa consommation. De ce fait, il est pertinent d'inclure tous les emplois à temps partiel dans les formes précaires d'emploi.
Le premier réside dans l'impossibilité d'objectiver ce qu'est le "libre choix". "Logiquement, [si l'emploi à temps partiel] est l'expression d'un libre choix, il traduit une décision de partage du temps entre l'emploi et l'inactivité. Si le temps partiel est contraint ou subi, il juxtapose l'emploi partiel et le chômage partiel. Or, il est difficile de distinguer le choix de la contrainte : une personne n'opère des choix que dans le cadre des contraintes auxquelles elle est soumise. En pratique, on se borne à enregistrer la déclaration des personnes sur leur souhait d'augmenter la durée de leur travail. Il faut être conscient du fait que ces contraintes objectives (par exemple, l'absence de crèches) peuvent conduire une personne à déclarer ne pas souhaiter accroître sa durée de travail, entraînant ainsi son classement en temps partiel volontaire."
On pourrait s'étonner : pourquoi inclure la catégorie d' "emplois à temps partiel" dans les formes précaires d'emploi ? N'y a-t-il pas un certain nombre de personnes à temps partiel de façon volontaire (étudiants, parents qui souhaitent s'occuper davantage de leurs enfants, travailleurs âgés qui préfèrent ne pas perdre tout lien avec l'emploi, etc.) ? En réalité, au moins deux arguments justifient l'inclusion du temps partiel volontaire dans les formes précaires d'emploi.
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Une autre vision du marché du travail
L'Enquête Emploi permet d'observer le statut des emplois occupés, ce qui nous permet de préciser l'analyse de la précarité à partir de la définition précédente. Parmi les 28 341,1 milliers de personnes en emploi, il y a 17 467,1 milliers de salariés en CDI à temps complet et 3 004,6 milliers d'indépendants à temps complet. Si on additionne toutes les formes particulières d'emploi (ou emplois atypiques), c'est-à-dire les emplois à temps partiel, et, parmi les emplois à temps plein, les contrats temporaires (CDD, intérim, contrats d'alternance, stages), on obtient 7 780 milliers d'emplois. Notons que les contrats aidés ne sont pas distingués du type de contrat. Nous ne les mentionnerons donc pas.
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Une autre vision du marché du travail
Dessin de Deligne.
En s'appuyant sur les données précédentes, si l'on considère qu'un emploi protecteur, permettant l'intégration à la société par l'emploi, cumule un CDI et un temps complet (c'est-à-dire une version restrictive de la norme d'emploi héritée des Trente Glorieuses), nous pouvons dès lors estimer le nombre et la proportion de personnes précaires vis-à-vis de l'emploi en additionnant les chômeurs, les personnes dans le halo, et les personnes en emplois atypiques (on ne retient pas les personnes en sous-emploi car l'Insee ne ventilant pas cette population selon leur statut, on risquerait de les comptabiliser deux fois). Le nombre de précaires, c'est-à-dire non protégés par l'emploi, comme précédemment défini, s'élève ainsi à 11 873,2 milliers de personnes, soit 36,6 % de la population active élargie.
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Une autre vision du marché du travail
Situations de précarité (comme précédemment définie) = 11 873,2
Pour rappel : les emplois atypiques concernent 7 780 milliers de personnes.
Pour rappel : le sous-emploi concerne 1 304,2 milliers de personnes.
Halo = 1 858,8
Autres inactifs
Chô = 2 234,4
Emploi = 28 341,1
Situations contraintes sur le marché du travail = 5 387,4
Nous pouvons effectuer un récapitulatif des données : 2 234,4 milliers de chômeurs, 1 858,8 milliers de personnes dans le halo, 1 304,2 milliers de personnes en sous-emploi, 7 780 milliers de personnes à temps partiel ou en emplois atypiques à temps plein, et une population active élargie qui s'élève à 32 434,3 milliers de personnes.
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Une autre vision du marché du travail
Dessin de Charb.
Voici un récapitulatif des ordres de grandeur. En limitant les situations défavorables sur le marché du travail aux situations de chômage, on peut considérer la situation actuelle du marché du travail comme relativement positive, car le taux de chômage n'a jamais été aussi faible depuis presque quarante ans, à hauteur de 7,3 % de la population active. De ce point de vue, nous sommes sur le chemin du plein emploi.En intégrant le halo autour du chômage et le sous-emploi, la situation sur le marché du travail apparaît plus contrastée : en effet, c'est 16,6 % de la population active élargie qui est dans une situation contrainte. Mais si on ajoute au chômage et au halo les emplois atypiques, c'est désormais 36,6 % de la population active élargie qui est concernée par une situation que l'on peut qualifier de précaire. En résumé, si, au sens strict, on s'approche effectivement du plein emploi, celui-ci n'est plus conçu comme une situation qui protège le travailleur, donc qui participe pleinement de son intégration.
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Une autre vision du marché du travail
Sur le schéma, sont représentées les évolutions du nombre de chômeurs, de personnes en sous-emploi, de personnes dans le halo, de personnes occupant une forme particulière d'emploi à temps plein ou partiel (CDD, emplois saisonniers, intérim, alternance, stage), de personnes à temps partiel depuis au mieux 1975. Même s'il faut être prudent (on ne peut additionner ces cinq catégories en raison de situations qui peuvent se superposer), on remarque une tendance à l'augmentation de ces situations qui relèvent d'une manière ou d'une autre de la précarité.
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Une autre vision du marché du travail
Dessin d'Aurel.
On comprend l'utilité d'une analyse détaillée et fouillée des statistiques : les mouvements sociaux relatifs à la "question sociale" qui rythment la société française depuis près de trente ans deviennent alors beaucoup plus intelligibles (mobilisations contre le CPE en 2006, contre les réformes des retraites en 1995, 2003, 2010, 2013, 2020, 2023, contre la loi El Khomri en 2016, mouvement des Gilets Jaunes en 2018-19, sans compter les mobilisations sectorielles nombreuses dans la fonction publique ou dans le secteur privé, en particulier chez les ouvriers).
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Didier Demazière
"Ce statut [de chômeur] est adossé à des institutions spécialisées destinées à distribuer des revenus de remplacement (allocations de chômage) aux chômeurs, à dispenser des conseils et prestations visant à faciliter l'accès à l'emploi, et à contrôler le respect des obligations individuelles (recherche d'emploi, absence de travail au noir). Ainsi un régime unifié d'indemnisation par les cotisations [sociales] a été créé en 1958 sous l'impulsion des partenaires sociaux (Unedic), une Agence Nationale Pour l'Emploi (ANPE) a été fondée en 1967 par l'Etat, et en 2009 la fusion de ces deux organismes a donné naissance à Pôle Emploi. Cette action publique est le signe d'une reconnaissance officielle du chômage comme statut spécifique, qui appelle un soutien public (revenu de remplacement, aide au retour à l'emploi) en échange d'une mobilisation individuelle dans la recherche d'emploi [...]."
Si la définition du chômage par le Pôle Emploi repose sur le même socle que la "combinaison de critères édictés par le Bureau International du Travail [à savoir] la privation d'emploi, la disponibilité ou capacité à travailler, et la recherche d'emploi ou la volonté de travailler", elle présente des différences significatives.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Dessin d'Allan Barte.
En effet, si celles-ci ont un intérêt précieux en ce qu'elles permettent de "suivre l'action du Service public de l'emploi" avec rigueur, elles restent néanmoins "sensibles aux modifications des règles de gestion des listes, aux changements des outils de gestion, aux évolutions des dispositifs d'accompagnement des demandeurs d'emploi ou de l'indeminisation chômage". Pour le dire comme Jacques Freyssinet, "ces données présentent toutes les faiblesses d'une source administrative dont la gestion est soumise à l'état évolutif de la réglementation, à l'impact des changements dans les dispositifs de la politique de l'emploi ou du contrôle des chômeurs."
Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler que les statistiques de Pôle Emploi sont, par définition, administratives, alors que celles de l'Insee sont basées sur des enquêtes auprès des ménages. L'intérêt des données de l'Insee réside dans la possibilité d'analyser rigoureusement les évolutions conjoncturelles du marché du travail, comme nous l'avons précédemment montré, ce que ne permettent pas les données de Pôle Emploi.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Pôle Emploi est l'institution publique qui recense et accompagne les demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM). Avant même d'évoquer les cinq catégories de DEFM, il est peut-être utile de rappeler que, pour être comptabilisé comme DEFM, il faut être inscrit à Pôle Emploi. La catégorie A est la plus commentée car c'est celle qui se rapproche le plus de la représentation commune du chômage (et notamment des chômeurs au sens de l'Insee) : elle regroupe les personnes sans emploi et tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi.
La Dares (le service statistique du Ministère du Travail) a réalisé une infographie simple pour distinguer les chômeurs de l'Insee et les demandeurs d'emploi de catégorie A du Pôle Emploi. L'Insee a fait de même dans cette courte vidéo.
C'est pourquoi on réservera la catégorie de "chômeur" aux personnes reconnues comme telle par l'Insee, et on préférera la catégorie "demandeur d'emploi" aux personnes inscrites à Pôle Emploi. Ainsi, c'est le chiffre de l'Insee qui apparaît pertinent pour "calculer le taux de chômage [car cette mesure est] indépendante des perceptions subjectives des personnes, comme des évolutions institutionnelles des dispositifs d'indemnisation ou de suivi des demandeurs d'emploi." Jacques Freyssinet est plus catégorique : "l'enquête Emploi [de l'Insee] est désormais la seule source de mesure du chômage."
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Rappel !
Capture d'écran, Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", septembre 2017.
Les catégories B et C regroupent les personnes ayant exercé une activité réduite (plus ou moins 78 heures par mois) et tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi. Elles se rapprochent du "sous-emploi" de l'Insee.La catégorie D regroupe les personnes sans emploi, non immédiatement disponibles et pas tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi (formation, maladie, etc.). Elle se rapproche du "halo" de l'Insee. Enfin, la catégorie E regroupe les personnes en emploi et non tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi (créateurs d'entreprise, contrats aidés, etc.). Elle contient notamment des individus en "sous-emploi" au sens de l'Insee.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Voici l'évolution trimestrielle du nombre de DEFM en France métropolitaine depuis 1996. Visuellement, on remarque plusieurs choses. D'abord, le nombre de DEFM oscille autour de 4 millions entre 1996 et 2008 (avec une baisse des cat. A liée à la croissance économique de la fin des années 1990). Ce nombre de DEFM augmente sensiblement à partir de la crise financière de 2008 pour s'établir à environ 6 millions depuis 2015. Enfin, les cat. B, C, E, correspondant à des personnes inscrites à Pôle Emploi occupant un emploi, semblent prendre une part croissante.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Jacques Freyssinet
Dans une note de l'IDIES datée de 2014, Jacques Freyssinet a construit un schéma permettant de visualiser facilement les différentes catégories de demandeurs d'emploi (les données ont été actualisées et correspondent au nombre de DEFM au dernier trimestre 2022, selon Pôle Emploi).
Définition des catégories de demandeurs d'emploi
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Dessin d'Ixène
Saisi par les statistiques de Pôle Emploi, et avec toutes les réserves possibles, le marché du travail se rapproche-t-il du plein emploi ? Là encore, les données sont riches d'enseignement.Du strict point de vue de la catégorie A, le nombre de DEFM baisse effectivement depuis 2017 : ils étaient 3,5 millions d'inscrits au 4e trimestre 2017, avec un pic logique au 2e trimestre 2020 avec 4,1 millions, contre 2,8 millions au 4e trimestre 2022. Toutefois, le point particulièrement bas observé à la veille de la crise de 2008 demeure encore lointain : ils n'étaient "que" 2 millions au 2e trimestre 2008. Observons rapidement le poids, respectivement, des radiations administratives (du fait du durcissement des contrôles et des critères de radiation) et du basculement de demandeurs d'emploi vers d'autres catégories, dans cette baisse du nombre de DEFM de catégorie A.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
On remarque ainsi que l'apparente amélioration des chiffres de Pôle Emploi, en réalité les DEFM A, doit être relativisée pour au moins deux raisons : d'une part, le nombre de DEFM B et C augmente sensiblement, d'autre part, plus de la moitié des sorties de DEFM ABC est due à des radiations administratives et à un défaut d'actualisation, et seulement 16,1 % à une reprise d'emploi. Restons prudents : les radiations ne semblent pas être en augmentation, et les données relatives au défaut d'actualisation sont difficiles à interpréter : "On y trouve des personnes qui ont oublié de renouveler leur déclaration ou [...] avec retard [...]. On y trouve aussi des personnes qui ont trouvé un emploi et ont omis de le signaler à Pôle Emploi ou encore qui, au terme de leurs droits à indemnisation, ne voient plus d'intérêt à renouveler leur inscription."
Entre les 3e et 4e trimestres 2022, le nombre de DEFM A a baissé de 92 900, le nombre de DEFM B et C a augmenté de 332 200, et le nombre de DEFM D et E a quasiment stagné (une baisse de 10 100). En d'autres termes, il y a 3,6 fois plus de nouveaux demandeurs d'emploi en activité réduite (les catégories B et C) que de sorties de demandeurs d'emploi de catégorie A, ce qui vient contraster la baisse globale du nombre de DEFM. Par ailleurs, au 4e trimestre 2022, le nombre moyen de sorties de catégories ABC est de 542 000, dont 87 200 pour reprise d'emploi déclarée, 63 200 entrée en stage ou formation, 52 800 pour radiation administrative, et 251 400 pour cessation d'inscription pour défaut d'actualisation.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Evolution du nombre de chômeurs BIT (moyenne annuelle) et de DEFM A (moyenne 4e trimestre) depuis 1996
Plus généralement, il est douteux d'évoquer le "plein emploi" lorsque le nombre d'inscrits à Pôle Emploi demeure autour de 6 millions de personnes depuis 2015, et lorsque le nombre et la part de demandeurs d'emploi qui occupent un emploi (cat. BCE) ont augmenté : ils étaient 1 283,9 milliers et représentaient 37,2 % du total des DEFM au 2e trimestre 2008, ils sont désormais 2 635,6 milliers et représentent 45,3 % du total des DEFM au dernier trimestre 2022, ce qui confirme les données de l'Insee relatives à l'augmentation des formes particulières d'emploi, du temps partiel ou du sous-emploi.
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Une autre question émerge aussi à la lumière de la superposition de l'évolution du nombre de chômeurs au sens de l'Insee et du nombre de demandeurs d'emploi de cat. A. Comment expliquer l'écart désormais installé entre le nombre de DEFM de cat. A et le nombre de chômeurs BIT ? En 2019, l'Insee a réalisé une synthèse qui permet d'y voir plus clair. Certains individus inscrits en cat. A ne sont pas au chômage au sens du BIT car inactifs dans le halo ou hors du halo, ou encore en emploi au sens du BIT. Inversement, certains chômeurs BIT ne sont pas inscrits à Pôle Emploi et certains sont inscrits en cat. B ou D. "Les seniors sont surreprésentés parmi les inscrits en catégorie A inactifs hors halo, tandis que les jeunes le sont parmi les chômeurs au sens du BIT non inscrits à Pôle emploi." C'est compréhensible : "A l'approche de la retraite, les seniors ont de plus en plus de difficultés à trouver un emploi et leur motivation peut également décliner [...]", d'autant plus que le "recul de l'âge de la retraite a accru le nombre d'inactifs [au sens du BIT] inscrits en catégorie A". Parmi les inscrits en cat. B, C ou E (qui sont en emploi), on retrouve plus souvent "des femmes et [des individus en] formes particulières d'emploi concentrées dans certaines professions (services à la personne, ouvriers non qualifiés de l'industrie, professions artistiques, [...])." "Parmi les inscrits en catégorie A, l'alternance entre chômage et halo est [...] courante".
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Chômage Insee ou chômage Pôle Emploi ?
Superposition des statuts BIT et des catégories de Pôle Emploi en 2017
Les auteurs de l'étude de l'Insee ont construit un schéma permettant de comprendre toutes ces superpositions, avec les données de 2017. La lecture de l'article a deux apports : d'une part, comprendre la différence et la complémentarité des deux approches, d'autre part, confirmer ce que nous avons entrevu plus tôt : si la baisse du nombre de chômeurs et du nombre de demandeurs d'emploi de cat. A est réelle, cette baisse doit être fortement relativisée. Pour cela, il convient de revenir sur la notion de "plein emploi".
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Plein emploi et qualité de l'emploi
Cette conception "repose sur la reconnaissance du droit à l'emploi pour tous ceux qui le souhaitent et sur la garantie d'une qualité minimum des emplois offerts. Elle implique une mesure extensive du chômage qui recouvre tous ceux pour lesquels le droit à un emploi de qualité acceptable n'a pas été satisfait. Ainsi, elle conduit à prendre en compte toutes les formes de gaspillage quantitatif ou qualitatif de capacités de travail."
William Beveridge (1879-1963)
En effet, à côté de la conception restrictive du plein emploi qui limite celui-ci à "l'élimination du chômage involontaire", conception que l'on peut associer à l'économiste John M. Keynes et qui trouvera une application dynamique dans le concept de NAIRU, il existe une conception enrichie du plein emploi, que l'on peut associer à l'économiste William Beveridge, père du système de sécurité sociale en Grande-Bretagne.
John Maynard Keynes (1883-1946)
"Dès l'origine, le chômage a été mis en relation d'une part avec la "question sociale" [...], d'autre part avec l'efficacité du fonctionnement du marché du travail." Il existe donc une "dualité des problématiques qui sous-tendent la mesure du chômage".
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Plein emploi et qualité de l'emploi
Dessin d'Aster
Dans une conception enrichie du plein emploi, il est désormais clair que le marché du travail français est très loin du plein emploi, car ce que l'on a appelé jadis la "double dégradation du marché du travail", à savoir la conjugaison du chômage et de la précarité, est toujours en vigueur, même si la structure du partage a pu évoluer depuis les années 1990. C'est la raison pour laquelle, depuis au moins deux décennies, l'accent est aussi mis sur la qualité des emplois, qu'il apparaît nécessaire d'analyser en lien avec l'organisation du travail et ses effets sur la santé des travailleurs, que nous aurons l'occasion d'étudier dans une autre fiche (car cet aspect est au programme de SES de terminale).
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Conclusion
Au fil de ce développement, de nombreuses questions ont émergé, qui nécessiteraient de plus amples recherches, mais que nous pouvons évoquer ici, car on pourrait effectivement affiner l'analyse sur bien des points. On pourrait par exemple étudier la précarité, souvent invisibilisée, de certaines catégories d'indépendants (une partie des petits agriculteurs, artisans, commerçants, ainsi que les micro-entrepreneurs).
Dessin de Deligne
Au terme de cette réflexion, nous avons souligné l'insuffisance d'une analyse superficielle ou intuitive des données pour évaluer la situation du marché du travail. Au contraire, et comme pour tout phénomène social, il convient de mener une analyse plus systématique, plus approfondie et s'appuyant sur des données solidement établies.
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Conclusion
Dessin de Mutio
On pourrait par exemple s'intéresser à la situation des chômeurs quant aux risques accrus auxquels ils sont exposés (chômage de longue durée, séparation conjugale, conduites à risque, espérance de vie, suicides), aux revenus auxquels ils ont droit (ou pas), au durcissement des réformes qui modifient leur situation, etc. On pourrait par exemple analyser les différentes réformes du droit du travail depuis quarante ans qui ont flexibilisé le marché du travail et rendu le CDI finalement moins protecteur. On pourrait par exemple réfléchir à la qualité de l'emploi (ce qui est prévu dans le programme de SES de terminale) par le biais de la dégradation des conditions de travail (exposition à des dangers, risques psycho-sociaux, accidents du travail, etc.) et de rémunération du travail (notamment en lien avec le retour de l'inflation), dans un contexte de régime de croissance caractérisée par le pouvoir de la finance actionnariale sur la production.
Genially créé le 26/07/2023 parLudovic Van Der EeckenEnseignant en SESLycée Paul Claudel d'Hulst (Paris)
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Conclusion
Dans une perspective davantage tournée vers le programme de SES de terminale, on pourrait également analyser les différentes explications théoriques du chômage, donc des politiques possibles de lutte contre le phénomène, en s'interrogeant notamment sur les postulats sur lesquels s'appuient le gouvernement actuel dans la conduite de sa politique de plein emploi. De la même manière, on pourrait aussi s'intéresser au rôle intégrateur de l'emploi dans les sociétés salariales et aux facteurs, comme le chômage et la précarité, qui affaiblissent ce rôle. On pourrait enfin réfléchir à la situation macroéconomique actuelle, qui conjugue baisse du chômage et création d'emplois dégradés permises par des dépenses publiques (baisse de cotisations sociales, apprentissage et emplois aidés), faible croissance économique et tendance à la baisse des gains de productivité, et ses effets à venir sur le progrès technique, la demande globale, la dette publique.
Dessine-moi l'éco est un programme de vidéos courtes et pédagogiques ayant pour objet d'expliquer l'économie. Créé par une société de conseil en pédagogie en partenariat avec Le Monde.
Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", 2017
Dessine-moi l'éco est un programme de vidéos courtes et pédagogiques ayant pour objet d'expliquer l'économie. Créé par une société de conseil en pédagogie en partenariat avec Le Monde.
Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", 2017
- un article de Vladimir Passeron en 2022 : - un article de Benoît Ourliac en 2020 :
Deux courts articles du blog de l'Insee complètent cet entretien :
En 2021, l'Insee a publié cette vidéo très courte et très claire, qui permet de faire le point. On peut retrouver cette vidéo dans l'entretien du statisticien Vladimir Passeron sur le blog de l'Insee, très instructif :
Insee, "Combien y avait-il de chômeurs en France en 2020 ?", 2021
Datagueule est un programme qui propose des vidéos courtes sur des sujets d'actualité, dans le but de démonter certaines idées reçues, à l'aide de données statistiques mises en scène dans des infographies ludiques.
Datagueule, "Chômage, mirages, naufrages", 2019
Dans un entretien à Yves Pagès, Laurent Guilloteau précise : "Depuis le développement de l'intérim puis des CDD, il y a une trentaine d'années, on parle d' "emplois atypiques" et de "formes particulières d'emploi" pour souligner l'exceptionnalité et la dégradation supposées caractériser l'intermittence de l'emploi. Nos représentations restent tributaires d'une vision homogénéisante de la norme d'emploi issue des années 1950 : l'emploi à temps plein et à durée indéterminée. [...] Or, [...] l'illusion d'une unité du salariat autour d'une norme contractuelle a volé en éclats. En outre, la segmentation du marché de l'emploi ne peut plus être décrite, comme dans les années 1970, en termes dichotomiques, les garantis d'un côté, les précaires de l'autre. En matière de salariat, nous avons plutôt affaire à une pluralité des normes d'emploi, plus incertaines et individualisées. Le salarié est pris dans un continuum de normes, à la fois hétérogènes et hiérarchisées, le passage de l'assujettissement d'un norme à une autre s'accompagnant de rupture de droits."
C. Peugny, entretien par S. Saqué, Blast, août 2022
La citation provient d'un ouvrage récent : Camille PEUGNY (2022), Pour une politique de la jeunesse, Paris, Seuil/La République des idées, p. 72.Camille Peugny a souvent répondu à des entretiens pour présenter son livre, en voici un parmi plusieurs, donné au média Blast le 14 août 2022.
Dessine-moi l'éco est un programme de vidéos courtes et pédagogiques ayant pour objet d'expliquer l'économie. Créé par une société de conseil en pédagogie en partenariat avec Le Monde.
Dessine-moi l'éco, "Comment mesure-t-on le chômage ?", 2017
Dessine-moi l'éco est un programme de vidéos courtes et pédagogiques ayant pour objet d'expliquer l'économie. Créé par une société de conseil en pédagogie en partenariat avec Le Monde.