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Transcript

Les pages du manuscrit du Horla ont été éparpilllées et dissimulées dans les ruines de la maison du narrateur. Mais qui a fait ça et pourquoi?
Auriez-vous le courage d'y pénétrer et de remettre de l'ordre dans ce texte .

Maison du narrateur

Jour 1

Maison du narrateur

Jour 2

30 pages ( 5 par îlot) sont cachées , des indices sont dissimulés sur ce plan. Lorsque tu trouves une page, lis la page attentivement puis attribue-lui un degré de rationalité nalité.
( réel, doute, fantastique) . Accroche-la ensuite au fil à linge en consultant les autres groupes

Consignes-Fiches

Matériel à télécharger

De l’ombre vient la lumière

Attention aux coups de bâton

5 horizontal, 2 vertical


DERRIÈRE LE SON

LE CHASSEUR DE FABLES

LE HÉROS DE SAINT EXUPERY

La rose

L'épidémie

L'expérience

La fièvre

1

2

3

Degré de rationnalité à définir pour chaque extrait

Le bateau

Expérience suite

4

5

6

8 mai. – Quelle journée admirable ! J’ai passé toute la matinée étendu sur l’herbe, devant ma maison, sous l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière. J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans,

aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui-même.

J’aime ma maison où j’ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.

À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d’airain que la brise m’apporte, tantôt plus fort et tantôt plus affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit.

Comme il faisait bon ce matin !

Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille.

Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois- mâts brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir.

12 mai. - J'ai un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens triste.


D'où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je m'éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. - Pourquoi ? - Je descends le long de l'eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m'attendait chez moi. - Pourquoi ? - Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre cœur lui-même, des effets rapides, surprenants et inexplicables.


Comme il est profond, ce mystère de l'Invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d'une étoile, ni les habitants d'une goutte d'eau... avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l'air en notes sonores. Elles sont des fées qui font ce miracle de changer en bruit ce mouvement et par cette métamorphose donnent naissance à la musique, qui rend chantante l'agitation muette de la nature... avec notre odorat, plus faible que celui du chien... avec notre goût, qui peut à peine discerner l'âge d'un vin !


Ah ! si nous avions d'autres organes qui accompliraient en notre faveur d'autres miracles, que de choses nous pourrions découvrir encore autour de nous !

5 juillet. – Ai-je perdu la raison ? Ce qui s’est passé la nuit dernière est tellement étrange, que ma tête s’égare quand j’y songe !

Comme je le fais maintenant chaque soir, j’avais fermé ma porte à clef ; puis, ayant soif, je bus un demi-verre d’eau, et je remarquai par hasard que ma carafe était pleine jusqu’au bouchon de cristal.

Je me couchai ensuite et je tombai dans un de mes sommeils épouvantables, dont je fus tiré au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse encore.

Figurez-vous un homme qui dort, qu’on assassine, et qui se réveille, avec un couteau dans le poumon, et qui râle couvert de sang, et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir, et qui ne comprend pas – voilà.

Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus soif de nouveau ; j’allumai une bougie et j’allai vers la table où était posée ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre ; rien ne coula. – Elle était vide ! Elle était vide complètement ! D’abord, je n’y compris rien ; puis, tout à coup, je ressentis une émotion si terrible, que je dus m’asseoir, ou plutôt, que je tombai sur une chaise ! puis, je me redressai

d’un saut pour regarder autour de moi! puis je me rassis, éperdu d’étonnement et de peur, devant

le cristal transparent ! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau? Qui? Moi? moi, sans doute ? Ce ne pouvait être que moi ? Alors, j’étais somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à nous-

si mêmes, plus qu’à nous-mêmes.

Ah ! qui comprendra mon angoisse abominable ? Qui comprendra l’émotion d’un homme, sain d’esprit, bien éveillé, plein de raison et qui regarde épouvanté, à travers le verre d’une carafe, un peu d’eau disparue pendant qu’il a dormi ! Et je restai là jusqu’au jour, sans oser regagner mon lit.

6 août. – Cette fois, je ne suis pas fou. J’ai vu... j’ai vu... j’ai vu !... Je ne puis plus douter... j’ai vu !... J’ai encore froid jusque dans les ongles... j’ai encore peur jusque dans les moelles... j’ai vu !...


Le Horla

Je me promenais à deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers... dans l’allée des rosiers d’automne qui commencent à fleurir.

Comme je m’arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d’une de ces roses se plier, comme si une main invisible l’eût tordue, puis se casser, comme si cette main l’eût cueillie ! Puis la fleur s’éleva, suivant une courbe qu’aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux.

Éperdu, je me jetai sur elle pour la saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris d’une colère furieuse contre moi-même ; car il n’est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d’avoir de pareilles hallucinations.

Mais était-ce bien une hallucination? Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immédiatement sur l’arbuste, fraîchement brisée entre les deux autres roses demeurées à la branche.

Alors, je rentrai chez moi l’âme bouleversée, car je suis certain, maintenant, certain comme de l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d’éau

10 juillet. – Je viens de faire des épreuves surprenantes.

Décidément, je suis fou ! Et pourtant !

Le 6 juillet, avant de me coucher, j’ai placé sur ma table du vin, du lait, de l’eau, du pain et des fraises.

On a bu – j’ai bu – toute l’eau, et un peu de lait. On n’a touché ni au vin, ni au pain, ni aux fraises.

Le 7 juillet, j’ai renouvelé la même épreuve, qui a donné le même résultat.

Le 8 juillet, j’ai supprimé l’eau et le lait. On n’a touché à rien.

Le 9 juillet enfin, j’ai remis sur ma table l’eau et le lait seulement, en ayant soin d’envelopper les carafes en des linges de mousseline blanche et de ficeler les bouchons. Puis, j’ai frotté mes lèvres, ma barbe, mes mains avec de la mine de plomb, et je me suis couché.



L’invincible sommeil m’a saisi, suivi bientôt de l’atroce réveil. Je n’avais point remué ; mes draps eux-mêmes ne portaient pas de taches. Je m’élançai vers ma table. Les linges enfermant les bouteilles étaient demeurés immaculés. Je déliai les cordons, en palpitant de crainte. On avait bu toute l’eau ! on avait bu tout le lait ! Ah ! mon Dieu !...

19 août. – Je sais... je sais... je sais tout ! Je viens de lire ceci dans la Revue du Monde scientifique : « Une nouvelle assez curieuse nous arrive de Rio de Janeiro. Une folie, une épidémie de folie, comparable aux démences contagieuses qui atteignirent les peuples d’Europe au moyen âge, sévit en ce moment dans la province de San-Paulo. Les habitants éperdus quittent leurs maisons, désertent leurs villages, abandonnent leurs cultures, se disant poursuivis, possédés, gouvernés comme un bétail humain par des êtres invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent en

outre de l’eau et du lait sans paraître toucher à aucun autre aliment.

« M. le professeur Don Pedro Henriquez, accompagné de plusieurs savants médecins, est parti pour la province de San-Paulo afin d’étudier sur place les origines et les manifestations de cette surprenante folie, et de proposer à l’Empereur les mesures qui lui paraîtront le plus propres à rappeler à la raison ces populations en délire. »

Ah ! Ah ! je me rappelle, je me rappelle le beau trois-mâts brésilien qui passa sous mes fenêtres en remontant la Seine, le 8 mai dernier ! Je le trouvais si joli, si blanc, si gai ! L’Être était dessus, venant de là-bas, où sa race est née ! Et il m’a vu ! Il a vu ma demeure blanche aussi ; et il a sauté du navire sur la rive. Oh ! mon Dieu !

À présent, je sais, je devine. Le règne de l’homme est fini.

Il est venu, Celui que redoutaient les premières terreurs des peuples naïfs, Celui qu’exorcisaient les prêtres inquiets, que les sorciers évoquaient par les nuits sombres, sans le voir apparaître encore, à qui les pressentiments des maîtres passagers du monde prêtèrent toutes les formes monstrueuses ou gracieuses des gnomes, des esprits, des génies, des fées, des farfadets. Après les grossières conceptions

de l’épouvante primitive, des hommes plus perspicaces l’ont pressenti plus clairement. Mesmer l’avait deviné et les médecins, depuis dix ans déjà, ont découvert, d’une façon précise, la nature de sa puissance avant qu’il l’eût exercée lui-même. Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau, la domination d’un mystérieux vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela magnétisme, hypnotisme, suggestion... que sais-je ? Je le ai vus s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance! Malheur à nous! Malheur à l’homme ! Il est venu, le... le... comment se nomme-t-il... le... il me semble qu’il me crie son nom, et je ne l’entends pas... le... oui... il le crie... J’écoute... je ne peux pas... répète... le... Horla... J’ai entendu... le Horla... c’est lui... le Horla... il est venu !...

Ah ! le vautour a mangé la colombe ; le loup a mangé le mouton ; le lion a dévoré le buffle aux cornes aiguës ; l’homme a tué le lion avec la flèche, avec le glaive, avec la poudre ; mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et du bœuf : sa chose, son serviteur et sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. Malheur à nous !

extrait pleinement fantastique

doute

Réel

6 pages ( une par îlot) sont cachées , des indices sont dissimulés sur ce plan. Lorsque tu trouves une page, lis la page attentivement puis attribue-lui un degré de rationnalité.
( réel, doute, fantastique) . Accroche-la ensuite au fil à linge en consultant les autres groupes

Textes et fil à linge

De l’ombre vient la lumière

Attention aux coups de bâton

5 horizontal, 2 vertical


La balade

Jean

la cuisine

Le feu

L'hypnose

Le Mont saint Michel

Le cauchemar

1

2

3

4

5

6

Degré de rationnalité à définir pour chaque extrait

25 mai. – Aucun

changement ! Mon

état, vraiment, est

bizarre. À mesure

qu’approche le soir,

une inquiétude incompréhensible m’envahit, comme si la nuit cachait pour moi une menace terrible. Je dîne vite, puis j’essaie de lire ; mais je ne comprends pas les mots ; je distingue à peine les lettres. Je marche alors dans mon salon de long en large, sous l’oppression d’une crainte confuse et irrésistible, la crainte du sommeil et la crainte du lit.


Vers dix heures, je monte dans ma chambre. À peine entré, je donne deux tours de clef, et je pousse les verrous ; j’ai peur... de quoi ?... Je ne redoutais rien jusqu’ici... j’ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j’écoute... j’écoute... quoi ?... Est-ce étrange qu’un simple malaise, un trouble de la circulation peut-être, l’irritation d’un filet nerveux, un peu de congestion, une toute petite perturbation dans le fonctionnement si imparfait et si délicat de notre machine vivante, puisse faire un mélancolique du plus joyeux des hommes, et un poltron du plus brave ? Puis, je me couche, et j’attends le sommeil comme on attendrait le bourreau. Je l’attends avec l’épouvante de sa venue, et mon cœur bat, et mes jambes frémissent ; et tout mon corps tressaille dans la chaleur des draps, jusqu’au moment où je tombe tout à coup dans le repos, comme on tomberait pour s’y noyer, dans un gouffre d’eau stagnante. Je ne le sens pas venir, comme autrefois, ce sommeil perfide, caché près de moi, qui me guette, qui va me saisir par la tête, me fermer les yeux, m’anéantir.

Je dors – longtemps – deux ou trois heures – puis un rêve – non – un cauchemar m’étreint. Je sens bien que je suis couché et que je dors... je le sens et je le sais... et je sens aussi que quelqu’un s’approche de moi, me regarde, me palpe, monte sur mon lit, s’agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre

ses mains et serre... serre... de toute sa force pour m’étrangler.

Moi, je me débats, lié par cette impuissance atroce, qui nous paralyse dans les songes ; je veux crier, – je ne peux pas; – je veux remuer, – je ne peux pas ; – j’essaie, avec des efforts affreux, en haletant, de me tourner, de rejeter cet être qui m’écrase et qui m’étouffe, – je ne peux pas !

Et soudain, je m’éveille, affolé, couvert de sueur. J’allume une bougie. Je suis seul.

Après cette crise, qui se renouvelle toutes les nuits, je dors enfin, avec calme, jusqu’à l’aurore.

2 juin

Je hâtai le pas, inquiet d’être seul dans ce bois, apeuré sans raison, stupidement, par la profonde solitude. Tout à coup, il me sembla

que j’étais suivi, qu’on marchait

sur mes talons, tout près, à me toucher.

Je me retournai brusquement. J’étais seul. Je ne vis derrière moi que la droite et large allée vide, haute, redoutablement vide ; et de l’autre côté elle s’étendait aussi à perte de vue, toute pareille, effrayante.

Je fermai les yeux.

Pourquoi ? Et je me mis

à tourner sur un talon,

très vite, comme une

toupie. Je faillis tomber ;

je rouvris les yeux ; les

arbres dansaient, la terre

flottait ; je dus m’asseoir.

Puis, ah ! je ne savais plus

par où j’étais venu ! Bizarre idée ! Bizarre ! Bizarre idée ! Je ne savais plus du tout. Je partis par le côté qui se trouvait à ma droite, et je revins dans l’avenue qui m’avait amené au milieu de la forêt.

2 juillet

Quand je fus sur le sommet, je dis au moine qui m’accompagnait : « Mon Père, comme vous devez être bien ici ! »

Il répondit : « Il y a beaucoup de vent, monsieur » ; et nous nous mîmes à causer en regardant monter la mer, qui courait sur le sable et le couvrait d’une cuirasse d’acier.

Et le moine me conta des histoires, toutes les vieilles histoires de ce lieu, des légendes, toujours des légendes.

Une d’elles me frappa beaucoup. Les gens du pays, ceux du mont, prétendent qu’on entend parler la nuit dans les sables, puis qu’on entend bêler deux chèvres, l’une avec une voix forte, l’autre avec une voix faible. Les incrédules affirment que ce sont les cris des oiseaux de mer, qui ressemblent tantôt à des bêlements, et tantôt à des plaintes humaines ; mais les pêcheurs attardés jurent avoir rencontré, rôdant sur les dunes, entre deux marées, autour de la petite ville jetée ainsi loin du monde, un vieux berger, dont on ne voit jamais la tête couverte de son manteau, et qui conduit, en marchant devant eux, un bouc à figure d’homme et une chèvre à figure de femme, tous deux avec de longs cheveux blancs et parlant sans cesse, se querellant dans une langue inconnue,

puis cessant soudain de crier pour bêler de toute leur force.

Je dis au moine : « Y croyez-vous ? » Il murmura : « Je ne sais pas. »

Je repris : « S’il existait sur la terre d’autres êtres que nous, comment ne les connaîtrions-nous point depuis longtemps ; comment ne les auriez-vous pas vus, vous? comment ne les aurais-je pas vus, moi ? »

Il répondit : « Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d’eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, – l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

Je me tus devant ce simple raisonnement. Cet homme était un sage ou peut-être un sot. Je ne l’aurais pu affirmer au juste ; mais je me tus. Ce qu’il disait là, je l’avais pensé souvent.




16 juillet. – J’ai vu hier des choses qui m’ont beaucoup troublé.

Je dînais chez ma cousine, Mme Sablé, dont le mari commande le 76e chasseurs à Limoges. Je me trouvais chez elle avec deux jeunes femmes, dont l’une a épousé un médecin, le docteur Parent, qui s’occupe beaucoup des maladies nerveuses et des manifestations extraordinaires auxquelles donnent lieu en ce moment les expériences sur l’hypnotisme et la suggestion.

Il nous raconta longtemps les résultats prodigieux obtenus par des savants anglais et par les médecins de l’école de Nancy.

Les faits qu’il avança me parurent tellement bizarres, que je me déclarai tout à fait incrédule.

«Nous sommes, affirmait-il, sur le point de découvrir un des plus importants secrets de la nature, je veux dire, un de ses plus importants secrets sur cette terre; car elle en a certes d’autrement importants, là-bas, dans les étoiles. Depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. Quand cette intelligence demeurait encore à l’état rudimentaire, cette hantise des phénomènes invisibles a pris des formes banalement effrayantes. De là sont nées les croyances populaires au surnaturel, les légendes des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles nous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de

Voltaire : “ Dieu a fait l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu. ”

« Mais, depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »

Ma cousine, très incrédule aussi, souriait. Le docteur Parent lui dit : « Voulez-vous que j’essaie de vous endormir, madame ?

– Oui, je veux bien. »

Elle s’assit dans un fauteuil et il commença à la regarder fixement en la fascinant. Moi, je me sentis soudain un peu troublé, le cœur battant, la gorge serrée. Je voyais les yeux de Mme Sablé s’alourdir, sa bouche se crisper, sa poitrine haleter.

Au bout de dix minutes, elle dormait.

« Mettez-vous derrière elle », dit le médecin.

Et je m’assis derrière elle. Il lui plaça entre les mains une carte de visite en lui disant : « Ceci est un miroir ; que voyez-vous dedans ? »

Elle répondit :

« Je vois mon cousin.


– Que fait-il ?

Le Horla

– Il se tord la moustache.

– Et maintenant ?

– Il tire de sa poche une photographie.

– Quelle est cette photographie ?

– La sienne. »

C’était vrai ! Et cette photographie venait de m’être livrée, le soir même, à l’hôtel.

« Comment est-il sur ce portrait ?

– Il se tient debout avec son chapeau à la main. »

Donc elle voyait dans cette carte, dans ce carton blanc, comme elle eût vu dans une glace.

Les jeunes femmes, épouvantées, disaient : « Assez ! Assez ! Assez ! »

Mais le docteur ordonna : « Vous vous lèverez demain à huit heures ; puis vous irez trouver à son hôtel votre cousin, et vous le supplierez de vous


Le Horla

prêter cinq mille francs que votre mari vous demande et qu’il vous réclamera à son prochain voyage. »

Puis il la réveilla.

3 juillet. – J’ai mal dormi ; certes, il y a ici une influence fiévreuse, car mon cocher souffre du même mal que moi. En rentrant hier, j’avais remarqué sa pâleur singulière. Je lui demandai :

« Qu’est-ce que vous avez, Jean ?

– J’ai que je ne peux plus me reposer, monsieur, ce sont mes nuits qui mangent mes jours. Depuis le départ de monsieur, cela me tient comme un sort. »

Les autres domestiques vont bien cependant, mais j’ai grand-peur d’être repris, moi

4 août. – Querelles parmi mes domestiques. Ils prétendent qu’on casse les verres, la nuit, dans les armoires. Le valet de chambre accuse la cuisinière, qui accuse la lingère, qui accuse les deux autres. Quel est le coupable ? Bien fin qui le dirait !

10 septembre. – Rouen, hôtel Continental. C’est fait... c’est fait... mais est-il mort? J’ai l’âme bouleversée de ce que j’ai vu.

Hier donc, le serrurier ayant posé ma persienne et ma porte de fer, j’ai laissé tout ouvert, jusqu’à minuit, bien qu’il commencât à faire froid.

Tout à coup, j’ai senti qu’il était là, et une joie, une joie folle m’a saisi. Je me suis levé lentement, et j’ai marché à droite, à gauche, longtemps pour qu’il ne devinât rien ; puis j’ai ôté mes bottines et mis mes savates avec négligence; puis j’ai fermé ma persienne de fer, et revenant à pas tranquilles vers la porte, j’ai fermé la porte aussi à double tour. Retournant alors vers la fenêtre, je la fixai par un cadenas, dont je mis la clef dans ma poche.

Tout à coup, je compris qu’il s’agitait autour de moi, qu’il avait peur à son tour, qu’il m’ordonnait de lui ouvrir. Je faillis céder ; je ne cédai pas, mais m’adossant à la porte, je l’entrebâillai, tout juste assez pour passer, moi, à reculons ; et comme je suis très grand ma tête touchait au linteau. J’étais sûr qu’il n’avait pu s’échapper et je l’enfermai, tout seul, tout seul. Quelle joie ! Je le tenais ! Alors, je descendis, en courant ; je pris dans mon salon, sous ma chambre, mes deux lampes et je renversai toute l’huile sur le tapis, sur les meubles, partout ; puis j’y

mis le feu, et je me sauvai, après avoir bien refermé, à double tour, la grande porte d’entrée. Et j’allai me cacher au fond de mon jardin, dans un massif de lauriers. Comme ce fut long ! comme ce fut long ! Tout était noir, muet, immobile ; pas un souffle d’air, pas une étoile, des montagnes de nuages qu’on ne voyait point, mais qui pesaient sur mon âme si lourds, si lourds.

Je regardais ma maison, et

j’attendais. Comme ce fut

long ! Je croyais déjà que le

feu s’était éteint tout seul, ou

qu’il l’avait éteint, Lui,

quand une des fenêtres d’en

bas creva sous la poussée de

l’incendie, et une flamme,

une grande flamme rouge et jaune, longue, molle, caressante, monta le long du mur blanc et le baisa jusqu’au toit. Une lueur courut dans les arbres, dans les branches, dans les feuilles, et un frisson, un frisson de peur aussi. Les oiseaux se réveillaient ; un

chien se mit à hurler ; il me sembla que le jour se levait ! Deux autres fenêtres éclatèrent aussitôt, et je vis que tout le bas de ma demeure n’était plus qu’un effrayant brasier. Mais un cri, un cri horrible, suraigu, déchirant, un cri de femme passa dans la nuit, et deux mansardes s’ouvrirent ! J’avais oublié mes domestiques ! Je vis leurs faces affolées, et leurs bras qui s’agitaient !...

Alors, éperdu d’horreur, je me mis à courir vers le village en hurlant : « Au secours ! au secours! au feu! au feu!» Je rencontrai des gens qui s’en venaient déjà et je retournai avec eux, pour voir.

La maison, maintenant,

n’était plus qu’un bûcher horrible et magnifique, un bûcher monstrueux, éclairant toute la terre, un bûcher où brûlaient des hommes, et où il brûlait aussi, Lui, Lui, mon prisonnier, l’Être nouveau, le nouveau maître, le Horla !

doute

extrait pleinement fantastique

Réel

1/1

Salle des chefs d'oeuvre
Ici seront exposées vos oeuvres

Photos réalistes
Septembre 2022

Infiltration la Parure
Octobre 2022

Théâtre d'ombres Phèdre
Décembre 2022

Des couleurs en moi
Décembre 2022

Le livre à ne pas lire
Décembre 2022

Histoire de regards

Janvier 2023

1/1

L'incipit

You have lost a museum piece

Le désir de paraitre

Le fin d'un rêve

You have lost a museum piece

TEXTES

Vers la disillusion

You have lost a museum piece

Lecture cursive

LA ROULETTE

Écriture-DNB

LA ROULETTE

EXPERTISE 5

mission: que doit-on retenir de ce texte?

À vos cartes mentales

­ Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et c'est une occasion, cela, une belle ! J'ai eu une peine infinie à l'obtenir. Tout le monde en veut ; c'est très recherché et on n'en donne pas beaucoup aux employés. Tu verras là tout le monde officiel. "

Elle le regardait d'un oeil irrité, et elle déclara avec impatience : "Que veux­tu que je me mette sur le dos pour aller là ?"

Il n'y avait pas songé ; il balbutia : " Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me semble très bien, à moi..."

Il se tut, stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Deux grosses larmes descendaient lentement des coins des yeux vers les coins de la bouche ; il bégaya : "Qu'as­tu ? Qu'as­tu ?"

Mais, par un effort violent,elle avait dompté sa peine et elle répondit d'une voix calme en essuyant ses joues humides : " Rien. Seulement je n'ai pas de toilette et par conséquent je ne peux aller à cette fête. Donne ta carte à quelque collègue dont la femme sera mieux nippée que moi."

Il était désolé. Il reprit : " Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait­il, une toilette convenable, qui pourrait te servir encore en d'autres occasions, quelque chose de très simple ?"

Elle réfléchit quelques secondes, établissant ses comptes et songeant aussi à la somme qu'elle pouvait demander sans s'attirer un refus immédiat et une exclamation effarée du commis économe.

Enfin elle répondit en hésitant : " Je ne sais pas au juste, mais il me semble qu'avec quatre cents francs je pourrais arriver."

Il avait un peu pâli,car il réservait juste cette somme pour acheter un fusil et s'offrir des parties de chasse, l'été suivant, dans la plaine de Nanterre, avec quelques amis qui allaient tirer des alouettes, par là, le dimanche.

Il dit cependant : "Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche d'avoir une belle robe."


Le jour de la fête approchait, et Mme Loisel semblait triste, inquiète, anxieuse. Sa toilette était prête cependant. Son mari lui dit un soir : "Qu'as­tu ? Voyons, tu es toute drôle depuis trois jours."

Et elle répondit : "Cela m'ennuie de n'avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur moi. J'aurai l'air misère comme tout. J'aimerais presque mieux ne pas aller à cette soirée."

Il reprit : "Tu mettras des fleurs naturelles. C'est très chic en cette saison­ci. Pour dix francs, tu auras deux ou trois roses magnifiques. "

Elle n'était point convaincue.

"Non ... il n'y a rien de plus humiliant que d'avoir l'air pauvre au milieu de femmes riches."

Mais son mari s'écria : "Que tu es bête ! Va trouver ton amie Mme Forestier et demande­lui de te prêter des bijoux. Tu es bien assez liée avec elle pour faire cela."

Elle poussa un cri de joie : "C'est vrai. Je n'y avais point pensé. "

Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui conta sa détresse.

Mme Forestier alla vers son armoire à glace, prit un large coffret, l'apporta, l'ouvrit, et dit à Mme Loisel : "Choisis, ma chère."

Elle vit d'abord des bracelets, puis un collier de perles, puis une croix vénitienne, or et pierreries, d'un admirable travail. Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne pouvait se décider à les quitter, à les rendre. Elle demandait toujours :

"Tu n'as plus rien d'autre ?

­ Mais si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire. "

Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de diamants; et son cœur se mit à battre d'un désir immodéré. Ses mains tremblaient en la prenant. Elle l'attacha autour de sa gorge, sur sa robe montante, et demeura en extase devant elle­même.

Puis, elle demanda, hésitante, pleine d'angoisse : "Peux­tu me prêter cela, rien que cela ?

­ Mais oui, certainement. "

Elle sauta au cou de son amie, l'embrassa avec emportement, puis s'enfuit avec son trésor.

EXPERTISE2

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À vos cartes mentales

modèle à suivre




LA PARURE de Guy de Maupassant (nouvelle parue dans le Gaulois le 17 février 1884)

C'était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d'employés. Elle n'avait pas de dot, pas d'espérance, aucun moyen d'être connue, comprise, aimée, épousée par un homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère de l'Instruction publique.

Elle fut simple ne pouvant être parée, mais malheureusement comme une déclassée, car les femmes n'ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct d'élégance, leur souplesse d'esprit, sont leur seule hiérarchie, et font des filles du peuple les égales des plus grandes dames.

Elle souffrait sans cesse, se sentant née pour toutes les délicatesses et tous les luxes. Elle souffrait de la pauvreté de son logement, de la misère des murs, de l'usure des sièges, de la laideur des étoffes. Toutes ces choses,dont une autre femme de sa caste ne se serait même pas aperçue, la torturaient et l'indignaient. La vue de la petite Bretonne qui faisait son humble ménage éveillait en elle des regrets désolés et des rêves éperdus. Elle songeait aux antichambres muettes, capitonnées avec des tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de bronze, et aux deux grands valets en culotte courte qui dorment dans les larges fauteuils, assoupis par la chaleur lourde du calorifère. Elle songeait aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins portant des bibelots inestimables, et aux petits salons coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec les amis les plus intimes, les hommes connus et recherchés dont toutes les femmes envient et désirent l'attention.

Quand elle s'asseyait, pour dîner, devant la table ronde couverte d'une nappe de trois jours, en face de son mari qui découvrait la soupière en déclarant d'un air enchanté : " Ah ! le bon pot­au­feu ! je ne sais rien de meilleur que cela..." elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes, aux tapisseries peuplant les murailles de personnages anciens et d'oiseaux étranges au milieu d'une forêt de féerie ; elle songeait aux plats exquis servis en des vaisselles merveilleuses, aux galanteries chuchotées et écoutées avec un sourire de sphinx, tout en mangeant la chair rose d'une truite ou des ailes de gélinotte.

Elle n'avait pas de toilettes, pas de bijoux,rien. Et elle n'aimait que cela ; elle se sentait faite pour cela. Elle eût tant désiré plaire, être enviée, être séduisante et recherchée.

Elle avait une amie riche, une camarade de couvent qu'elle ne voulait plus aller voir, tant elle souffrait en revenant. Et elle pleurait pendant des jours entiers, de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse.

Or, un soir, son mari rentra, l'air glorieux, et tenant à la main une large enveloppe.

"Tiens, dit­il, voici quelque chose pour toi."

Elle déchira vivement le papier et en tira une carte imprimée qui portait ces mots :

" Le ministre de l'Instruction publique et Mme Georges Ramponneau prient M. et Mme Loisel de leur faire honneur de venir passer la soirée à l'hôtel du ministère, le lundi 18 janvier."

Au lieu d'être ravie, comme l'espérait son mari, elle jeta avec dépit l'invitation sur la table, murmurant :

« Que veux­tu que je fasse de cela ? »

EXPERTISE 6

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À vos cartes mentales

Le jour de la fête arriva. Mme Loisel eut un succès. Elle était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie. Tous les hommes la regardaient, demandaient son nom, cherchaient à être présentés. Tous les attachés du cabinet voulaient valser avec elle. Le ministre la remarqua.

Elle dansait avec ivresse, avec emportement, grisée par le plaisir, ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté, dans la gloire de son succès, dans une sorte de nuage de bonheur fait de tous ces hommages, de toutes ces admirations, de tous ces désirs éveillés, de cette victoire si complète et si douce au cœur des femmes.

Elle partit vers quatre heures du matin. Son mari, depuis minuit, dormait dans un petit salon désert avec trois autres messieurs dont les femmes s'amusaient beaucoup.

Il lui jeta sur les épaules les vêtements qu'il avait apportés pour la sortie, modestes vêtements de la vie ordinaire, dont la pauvreté jurait avec l'élégance de la toilette de bal. Elle le sentit et voulut s'enfuir, pour ne pas être remarquée par les autres femmes qui s'enveloppaient de riches fourrures.

Loisel la retenait : "Attends donc. Tu vas attraper froid dehors. Je vais appeler un fiacre."

Mais elle ne l'écoutait point et descendait rapidement l'escalier. Lorsqu'ils furent dans la rue, ils ne trouvèrent pas de voiture ; et ils se mirent à chercher,criant après les cochers qu'ils voyaient passer de loin.

Ils descendaient vers la Seine, désespérés, grelottants. Enfin ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés noctambules qu'on ne voit dans Paris que la nuit venue, comme s'ils eussent été honteux de leur misère pendant le jour.

Il les ramena jusqu'à leur porte, rue des Martyrs, et ils remontèrent tristement chez eux.

C'était fini, pour elle. Et il songeait, lui, qu'il lui faudrait être au Ministère à dix heures.

Elle ôta les vêtements dont elle s'était enveloppé les épaules, devant la glace, afin de se voir encore une fois dans sa gloire. Mais soudain elle poussa un cri. Elle n'avait plus sa rivière autour du cou !

Son mari, à moitié dévêtu déjà, demanda : " Qu'est­ce que tu as ? "

Elle se tourna vers lui, affolée : "J'ai... j'ai... je n'ai plus la rivière de Mme Forestier. "

Il se dressa, éperdu : "Quoi !... comment!... Ce n'est pas possible!"

Et ils cherchèrent dans les plis de la robe, dans les plis du manteau, dans les poches, partout. Ils ne la trouvèrent point.

Il demandait : " Tu es sûre que tu l'avais encore en quittant le bal ?

­ Oui, je l'ai touchée dans le vestibule du ministère.

­ Mais, si tu l'avais perdue dans la rue, nous l'aurions entendue tomber. Elle doit être dans le fiacre.

­ Oui. C'est probable. As­tu pris le numéro ?

­ Non. Et toi, tu ne l'as pas regardé ?

­ Non."

Ils se contemplaient atterrés. Enfin Loisel se rhabilla.

"Je vais, dit­il, refaire tout le trajet que nous avons fait à pied, pour voir si je ne la retrouverai pas. "


Et il sortit. Elle demeura en toilette de soirée, sans force pour se coucher, abattue sur une chaise, sans feu, sans pensée.

Son mari rentra vers sept heures. Il n'avait rien trouvé.

Il se rendit à la préfecture de Police, aux journaux, pour faire promettre une récompense, aux compagnies de petites voitures, partout enfin où un soupçon d'espoir le poussait.

Elle attendit tout le jour, dans le même état d'effarement devant cet affreux désastre.

Loisel revint le soir, avec la figure creusée, pâlie ; il n'avait rien découvert.

"Il faut, dit­il, écrire à ton amie que tu as brisé la fermeture de sa rivière et que tu la fais réparer. Cela nous donnera le temps de nous retourner. "

Elle écrivit sous sa dictée.

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À vos cartes mentales

Au bout d'une semaine, ils avaient perdu toute espérance.

Et Loisel, vieilli de cinq ans, déclara : " Il faut aviser à remplacer ce bijou."

Ils prirent, le lendemain, la boîte qui l'avait renfermé, et se rendirent chez le joaillier, dont le nom se trouvait dedans. Il consulta ses livres : " Ce n'est pas moi, madame, qui ai vendu cette rivière ; j'ai dû seulement fournir l'écrin."

Alors ils allèrent de bijoutier en bijoutier, cherchant une parure pareille à l'autre, consultant leurs souvenirs, malades tous deux de chagrin et d'angoisse. Ils trouvèrent, dans une boutique du Palais­ Royal, un chapelet de diamants qui leur parut entièrement semblable à celui qu'ils cherchaient. Il valait quarante mille francs. On le leur laisserait à trente­six mille.

Ils prièrent donc le joaillier de ne pas le vendre avant trois jours. Et ils firent condition qu'on le reprendrait, pour trente­quatre mille francs, si le premier était retrouvé avant la fin de février.

Loisel possédait dix­huit mille francs que lui avait laissés son père. Il emprunterait le reste.

Il emprunta, demandant mille francs à l'un, cinq cents à l'autre, cinq louis par­ci, trois louis par­là. Il fit des billets, prit des engagements ruineux, eut affaire aux usuriers, à toutes les races de prêteurs. Il compromit toute la fin de son existence, risqua sa signature sans savoir même s'il pourrait y faire honneur, et, épouvanté par les angoisses de l'avenir, par la noire misère qui allait s'abattre sur lui, par la perspective de toutes les privations physiques et de toutes les tortures morales, il alla chercher la rivière nouvelle, en déposant sur le comptoir du marchand trente­six mille francs.

Quand Mme Loisel reporta la parure à Mme Forestier, celle­ci lui dit, d'un air froissé : "Tu aurais dû me la rendre plus tôt, car, je pouvais en avoir besoin." Elle n'ouvrit pas l'écrin, ce que redoutait son amie. Si elle s'était aperçue de la substitution, qu'aurait­elle pensé ? Ne l'aurait­elle pas prise pour une voleuse ?

Mme Loisel connut la vie horrible des nécessiteux. Elle prit son parti, d'ailleurs, tout d'un coup, héroïquement. Il fallait payer cette dette effroyable. Elle payerait. On renvoya la bonne ; on changea de logement ; on loua sous les toits une mansarde.

Elle connut les gros travaux du ménage, les odieuses besognes de la cuisine. Elle lava la vaisselle, usant ses ongles roses sur les poteries grasses et le fond des casseroles. Elle savonna le linge sale, les chemises et les torchons, qu'elle faisait sécher sur une corde ; elle descendit à la rue, chaque matin, les ordures, et monta l'eau, s'arrêtant à chaque étage pour souffler. Et, vêtue comme une femme du peuple, elle alla chez le fruitier, chez l'épicier, chez le boucher, le panier au bras, marchandant, injuriée, défendant sou à sou son misérable argent. Il fallait chaque mois payer des billets, en renouveler d'autres, obtenir du temps. Le mari travaillait,le soir,à mettre au net les comptes d'un commerçant, et la nuit, souvent, il faisait de la copie à cinq sous la page.

Et cette vie dura dix ans.

Au bout de dix ans, ils avaient tout restitué, tout, avec le taux de l'usure, et l'accumulation ses intérêts superposés.

Mme Loisel semblait vieille, maintenant. Elle était devenue la femme forte, et dure, et rude, des ménages pauvres. Mal peignée, avec les jupes de travers et les mains rouges, elle parlait haut, lavait à grande eau les planchers. Mais parfois, lorsque son mari était au bureau, elle s'asseyait auprès de la fenêtre, et elle songeait à cette soirée d'autrefois, à ce bal, où elle avait été si belle et si fêtée.

Que serait­il arrivé si elle n'avait point perdu cette parure?

Qui sait? qui sait? Comme la vie est singulière, changeante ! Comme il faut peu de chose pour vous perdre ou vous sauver !

Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux Champs­Élysées pour se délasser des besognes de la semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait un enfant.

C'était Mme Forestier, toujours jeune, toujours belle, toujours séduisante.

Mme Loisel se sentit émue. Allait­elle lui parler ? Oui, certes. Et maintenant qu'elle avait payé, elle lui dirait tout. Pourquoi pas ?


Elle s'approcha.

"Bonjour, Jeanne."

L'autre ne la reconnaissait point, s'étonnant d'être appelée ainsi familièrement par cette bourgeoise. Elle balbutia :

"Mais... madame !... Je ne sais... Vous devez vous tromper.

­ Non. Je suis Mathilde Loisel."

Son amie poussa un cri :

"Oh ! . . . ma pauvre Mathilde , comme tu es changée ! ...

­ Oui, j'ai eu des jours bien durs, depuis que je ne t'ai vue ; et bien des misères... et cela à cause de toi !...

­ De moi... Comment ça ?

­ Tu te rappelles bien cette rivière de diamants que tu m'as prêtée pour aller à la fête du ministère.

­ Oui. Eh bien ?

­ Eh bien, je l'ai perdue.

­ Comment ! puisque tu me l'as rapportée.

­ Je t'en ai rapporté une autre toute pareille. Et voilà dix ans que nous la payons. Tu comprends que ça n'était pas aisé pour nous, qui n'avions rien... Enfin c'est fini, et je suis rudement contente."

Mme Forestier s'était arrêtée.

" Tu dis que tu as acheté une rivière de diamants pour remplacer la mienne ?

­ Oui. Tu ne t'en étais pas aperçue, hein? Elles étaient bien pareilles."

Et elle souriait d'une joie orgueilleuse et naïve.

Mme Forestier, fort émue, lui prit les deux mains.

" Oh ! ma pauvre Mathilde ! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs !..."