Table-ronde - Quel avenir pour le lait local en Afrique de l'Ouest ?
Inter-réseaux Dévelo
Created on October 19, 2022
Evènement proposé dans le cadre de la participation de la Cité du développement durable à la Semaine Européenne du Développement Durable. Une table-ronde animée par le Gret autour des enjeux pour les éleveurs et les entreprises productrices de lait local au Sahel.
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Quel avenir pour le lait local en Afrique de l'Ouest ?
* Compte-rendu de table-ronde*
Evènement proposé le 6 octobre 2022 dans le cadre de la participation de la Cité du développement durable à la Semaine Européenne du Développement Durable. Une table-ronde animée par le Gret autour des enjeux pour les éleveurs et les entreprises productrices de lait local au Sahel.
EXPLORER LE Compte-Rendu
Télécharger la synthèse (pdf)
L
Introduction
Enjeux de la filière lait en France et Europe
Objectifs de la campagne de plaidoyer « Mon lait est local »
Enjeux pour les producteurs au Burkina et Niger
Quels apports de la recherche ?
Pour aller plus loin
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Introduction
En Afrique de l’Ouest, la production et la commercialisation du lait local répondent à des enjeux considérables en termes de développement socio-économique des zones pastorales et agropastorales, et d’indépendance alimentaire et nutritionnelle. Or, depuis plusieurs années, les agroindustriels européens envahissent le marché avec du lait en poudre et des substituts de lait fabriqués avec de la poudre de lait écrémée et de l’huile de palme, vendus jusqu’à 50% moins cher que le lait local, fragilisant l’ensemble de la filière du lait local. Elle en est devenue un des emblèmes des problématiques liées à la globalisation.Réunissant des représentant.e.s d’éleveurs et d’entreprises du Sahel, d’ONG et de la recherche, la table ronde a mis en débat ces questions : Quels enjeux de ces politiques pour les éleveurs et les entreprises productrices du Sahel ? Quels impacts pour les consommateurs sahéliens notamment en milieu urbain ? Comment renforcer la filière lait local en Afrique de l’Ouest, au travers des politiques commerciales et de développement de la filière ? Quels apports de recherche ?
La table ronde a montré la façon dont les acteurs se mobilisent autour de ces enjeux notamment en termes de plaidoyer. Alors que les campagnes “Mon lait local” et “N’exportons pas nos problèmes” ont été lancées il y a quelques années, on s’interrogera sur les avancées notamment vis-à-vis de l’Offensive lait de la Cédéao et au regard du contexte sécuritaire, post-pandémie et de la guerre en Ukraine.
Enjeux de la filière lait en France et Europe
Adrien Lefèvre, Association des producteurs de lait indépendants, APLI
Adrien Lefèvre est un jeune éleveur français passionné par son métier. Il est actuellement le Président de l'APLI. L'association a deux leviers d'actions :
- Lobby et plaidoyer : l’association milite pour un Programme de Responsabilisation du Marché
- Commercialisation et labellisation : l'association est à l'initiative de la marque FAIRE France.
Info
Adrien Lefèvre est un jeune éleveur français installé dans les Ardennes, donc au cœur de l’Europe (non loin de la Belgique, du Luxembourg, de l’Allemagne). Son exploitation est de taille moyenne : environ 60 vaches pour une production de 540 000 L de lait par an. Il fait d’abord le constat que les jeunes éleveurs sont de moins en moins nombreux en France : en 20 ans, le nombre d’éleveurs est passé de 120 000 à 50 000. Il est Président de l’Association des Producteurs de lait Indépendants (APLI) créée il y a 14 ans et comptant désormais 1000 membres sur 50 000 éleveurs français mais qui repose sur des membres actifs. Son but est de défendre les intérêts des producteurs au sein de la filière que ce soit en termes de reconnaissance et de rémunération. Leur action se base sur du plaidoyer auprès des institutions européennes mais aussi sur la construction de solutions concrètes comme la mise en place d’un label lait équitable chapeauté par The European Milk Board et qui a donné lieu à la marque Faire France commercialisée dans la grande et moyenne distribution française (GMS). Sur le volet lobby : l’association milite pour un Programme de Responsabilisation du Marché (PRM), afin que la production de lait colle au mieux à la consommation pour éviter tout effondrement des prix. En effet, le lait est une denrée périssable sous 3 jours de sorte qu’une baisse de la demande se traduit immédiatement par une baisse du prix. A partir de 1984, l’Europe a mis en place des quotas laitiers. Vers 2003, ces quotas ont été mal gérés avec des droits à la production bien supérieurs à la consommation ce qui a conduit à l’exportation des surplus sur le marché international. Les quotas laitiers ont été abolis et en 2007-2008, l’Europe s’est trouvée dans une situation de légère pénurie. La réponse apportée a été de délivrer des droits à la production très importants si bien que les prix se sont effondrés en 2008 passant de 400 euros les 1000L à 200 euros en 6 mois seulement. De nombreuses fermes qui avaient investi ne s’en sont pas remises. En 2015, les quotas laitiers ont été abolis dans une perspective libérale. Or, pour l’association, la régulation par le marché seul se fait de façon dramatique avec des arbitrages sur les exploitations en faveur d’autres productions (abandon élevage), des faillites, des suicides. A noter également que l’on manque de matière noble du lait (crème) dont le prix explose tandis que les sous-produits (lait dégraissé et ré-engraissé avec les matières grasses végétales) sont exportés vers l’Afrique. Le PRM prend comme référence le coût de production en intégrant une rémunération décente pour les éleveurs. L’association déplore ainsi que la contractualisation au sein de la filière laitière discutée lors des Etats généraux de l’alimentation fixe des prix mais non des marges ou un taux de rémunération pour le producteur. Actuellement, la hausse des prix des intrants (carburant, électricité, engrais, aliments protéinés) grignotent largement ces marges. L’association arrive à obtenir une certaine écoute auprès du Parlement européen, moins auprès de la Commission et auprès des représentants des ministères de l’agriculture (marqués également par une alternance forte). Face à cette difficulté à convaincre, l’association a décidé de lancer des actions concrètes pour faire la démonstration que leurs propositions fonctionnent bien. Sur le volet labellisation : l’objectif du label est de mieux répartir la marge dont le calcul intègre non seulement les charges (intrants, etc.) mais aussi la rémunération des éleveurs (chef d’exploitation ou salarié) qui est bien trop souvent la variable d’ajustement : toutes les charges sont payées et l’éleveur se tire un revenu, si possible. L’association milite pour la fixation d’une rémunération décente pour un éleveur chef d’exploitation à 2 smics horaires et non 2 smics mensuels comme le propose la filière afin de prendre en compte le nombre d’heures travaillées effectivement par les éleveurs (plutôt autour de 60h par semaine que 35h). Dans ce calcul, la rémunération représente alors 11 centimes d’euros sur les 45 centimes du coût de production du litre de lait (ce qui représente une différence de 8 centimes avec le calcul de la filière). Ensuite, le chiffre d'affaires dépend bien sûr des ventes réalisées. Dernièrement, sur les 15 millions de litres de lait vendus, le label a représenté 1,5 millions de revenus en plus. Pour une ferme moyenne comme la sienne, le label représente un gain de 30 000 euros supplémentaires sur un chiffre d’affaires d’environ 200 000 euros. Concrètement, les éleveurs adhérents à la marque Faire France travaillent avec les usines de transformation qui transforment le lait en beurre et en crème qui se gardent plus longtemps. Ensuite, ils ré-achètent le produit à l’industriel pour reprendre la main sur la mise en marché. La discussion avec la GMS a pris du temps (10 ans) et ils ont commencé petit. Aujourd’hui, ils ont aussi intégré les applications d’e-commerce et de vente à domicile. Le système nécessite une organisation des éleveurs, en coopérative, en association, etc. Ceux-ci ne sont plus que producteurs mais ils deviennent aussi des commerciaux ce qui n’est pas le même métier. A noter que Faire France pour l’instant n'arrive pas à se positionner dans les marchés institutionnels (restauration collective et scolaire). L’association échange également avec des producteurs au Burkina Faso pour créer une marque Faire Faso. Faire Mali est également en phase de démarrage. Si les fermes sont souvent très différentes, les points communs entre les producteurs au Nord et ceux au Sud, c’est qu’ils ne sont pas maîtres du jeu face à un marché qui les dépasse et qui n’est pas régulé. A voir également la synthèse de la conférence Initiatives Lait responsable organisée à l'occasion du Salon de l'élevage à Rennes en septembre 2022 sur le thème des interdépendances entre les filières lait du Grand Ouest et d’Afrique de l’Ouest.
Quels enjeux pour les producteurs au Burkina Faso et au Niger ?
Adama Ibrahim Diallo, Union nationale des mini-laiteries et producteurs de lait local au Burkina Faso, UMPLB
Maimouna Malé Diori, Laitière du Sahel/ANFILAIT
Que ce soit au Burkina-Faso ou au Niger, le lait local fait face à la concurrence de la poudre de lait importée , bien moins chère que le lait produit localement. Parallèlement, la filière locale, pour couvrir les besoins, doit relever un certain nombre de défis structurels (augmentation de la production, collecte, répartition de la valeur au sein de la filière) mais aussi conjoncturels, le contexte sécuritaire pesant lourd sur les éleveurs. Création de la marque FAIRE Faso, organisation des 72h du lait, plaidoyer auprès des décideurs sont autant d'initiatives qui permettent de rappeler que la filière a un double intérêt pour la société tant nutritionnelle que socio-économique.
Info
Quels enjeux pour les producteurs au Burkina Faso et au Niger ?
- Adama Ibrahim Diallo, Union nationale des mini-laiteries et producteurs de lait local au Burkina Faso, UMPLB
- Maimouna Malé Diori, Laitière du Sahel/Organisation nigérienne des fédérations interprofessionnelles du lait au Niger, ANFILAIT
Les objectifs de la campagne de plaidoyer « Mon lait est local »
Hindatou Amadou, Campagne Lait, Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en Savane APESS
Laurent Levart, GRET
"Il faut sensibiliser les populations et amener les industriels à utiliser le lait local"
"Augmenter les droits de douanes sur la poudre de lait et supprimer la TVA sur le lait local sont deux mesures à combiner pour améliorer la compétitivité du lait local"
La population en Afrique de l’Ouest augmente, s’urbanise et s’oriente pour une partie d’entre elle vers davantage de produits issus de l’élevage, lait et viande. La filière lait a un potentiel important et la production de lait a déjà augmenté de 50% entre 2000 et 2016 mais elle ne couvre que la moitié de la demande (avec des différences selon les pays). Le potentiel de production est sous-exploité car seulement 7% du lait local est valorisé. Parallèlement, les exportations de lait européen exercent une forte concurrence avec la filière locale, la poudre de lait réengraissée étant 30% moins chère que la poudre de lait entier et 50% moins chère que le lait local. Les organisations de producteurs se sont alliées pour demander à la Cedeao de mettre cette question à l’agenda ce qui a débouché sur l’Offensive lait (voir références ci-après). La campagne de plaidoyer “Mon lait est local” a été mise en place en 2018 dans 8 pays pour faire en sorte que les engagements de la Cedeao voient le jour. Des coalitions pays ont également été créées et des discussions ont lieu avec les acteurs de la filière (laiteries, etc.). On compte plus de 57 organisations dans cette campagne : les OP, les organisations de transformation, des organisations support qui sont mobilisées pour produire des évidences (Oxfam, Cirad, Gret, Iram). Il y a également un travail réalisé avec les organisations de consommateurs. Des études ont été réalisées sur les politiques commerciales pour développer les argumentaires de plaidoyer avec comme cibles la Cedeao et l’UE, avec la campagne soeur “N’exportons pas nos problèmes”. L’objectif de la campagne est de sensibiliser les populations afin qu’elles comprennent mieux les enjeux de la poudre de lait qui a envahi le marché. Le but est que les consommateurs aient une information juste sur la base de laquelle faire leurs choix de consommation. Il y a eu beaucoup de communication digitale, des pétitions en ligne et physiques. La campagne a été utile car les populations ont appris qu’ils consommaient de la poudre de lait reconstituée, alors que la publicité associe trop souvent les produits à base de poudre de lait GMV et image de vaches locales. Le deuxième objectif est d’amener les industriels à transformer le lait local. Un travail d’identification des multinationales et de suivi de leurs activités a été réalisé pour évaluer leurs pratiques vis-à-vis de la filière locale. En termes de résultats, on constate une meilleure compréhension des enjeux par la population. Ces préoccupations sont intégrées dans l’Offensive Lait de la Cédéao. Désormais l’enjeu est d’accompagner les différents pays à la mise en place de plans d’actions pays, et que des actions soient inscrites dans les programmes prioritaires d’investissements. Aujourd’hui 15 pays de la Cedeao et la Mauritanie ont des plans d’action lait qui attendent des financements (sachant que l’AFD envisage un programme régional). A LIRE également les documents stratégiques de l'Offensive lait
- Document de Stratégie - Offensive régionale pour la promotion des chaînes de valeur du lait local en Afrique de l’Ouesthttps://ecowap.ecowas.int/see-document/51https://ecowap.ecowas.int/see-document/101
- Document de Programme Prioritaire d’investissements - Offensive régionale pour la promotion des chaînes de valeur du lait local en Afrique de l’Ouesthttps://ecowap.ecowas.int/see-document/114
Laurent Levard a travaillé sur la question des politiques commerciales et des politiques fiscales qui pourraient permettre d’améliorer la compétitivité du lait local par rapport aux exportations de lait européen. Pour rappel, les industriels utilisent la poudre de lait entière à 3000 euros la tonne pour produire du beurre à 4000 euros, la poudre de lait ½ écrémée se vend, quant à elle, à 1500 euros la tonne. Le sous-produit est ensuite réengraissée avec de la matière grasse végétale (MGV) notamment de l’huile de palme, dont le prix est à 2000 euros la tonne. On voit donc que la poudre de lait MGV est ⅓ moins chère que la poudre de lait entière. L’étude a consisté à établir plusieurs scénarii de politiques commerciales et fiscales susceptibles d’améliorer la compétitivité du lait local à deux niveaux : celui du secteur de la transformation (production de yaourts, etc.) et celui des consommateurs tant pour les produits transformés que la poudre de lait importée qui est aussi reconditionnée en très petits paquets et qui est beaucoup moins chère que le lait local. Le scénario le plus intéressant est une combinaison entre deux mesures :
- une augmentation des droits de douane (TEC) sur la poudre de lait. Aujourd’hui il est à 5% seulement alors qu’il est de 60% en Afrique de l’Est. Le scénario propose de l’augmenter à 35%.
- une suppression de la TVA sur tous les produits issus du lait local.
Valoriser le lait local : quels apports de la recherche ?
Guillaume Duteurtre, Cirad, UMR Selmet, Systèmes d’élevage méditerranéens et tropicaux
Co-construction des modèles de production et de filières viables à travers la caractérisation :
- des différents systèmes de production :
- agro-pastoraux : rendements relativement faibles mais de nombreux services rendus
- mini fermes familiales avec des rendements un peu plus élevés
- des fermes commerciales orientées presque exclusivement vers la production de lait, où la mécanisation est plus importante mais où les interactions avec le système agricole dans son ensemble est plus faible
- des différents systèmes de collecte, de petites tailles au grand centres de collecte
- des différents types de laiteries (mini laiteries, laiteries industrielles, etc.).
Impact de la collecte de lait local sur le développement durable
- impacts environnementaux (carbone, biodiversité)
- impacts sociaux (emplois, identités culturelles)
- impacts économiques (approvisionnement, prix)
- impacts sur la santé (nutrition, risques sanitaires)
Identification des verrous réglementaires et politiques
- réglementations commerciales : TEC, quotas (le Nigéria met en place des quotas d’importation en échange de la collecte de lait local)
- fiscalité intérieure
- accès au crédit et au financement
- priorités d’investissement privés et de développement
Les controverses peuvent être éclairées par les recherches. Le rôle du CIRAD est d’aider à formuler les arguments par les acteurs portant le plaidoyer mais ce sont bien ces derniers qui sont le mieux placés pour le mener.
Des ressources pour aller plus loin
Plaidoyer et politiques
- Campagne “Mon lait est local”
- Campagne “N’exportons pas nos problèmes”
- Menaces sur le lait local en Afrique de l’Ouest, Communiqué
- Une tribune pour la protection des marchés agricoles ouest-africain, Roppa, Apess, Oxfam, Gret
Etudes et recherches
- CIRAD, UMR Selmet
- Projet Africa Milk
- Etude mesures fiscales et commerciales lait local , GRET, Mon lait est local, Oxfam
Les travaux d'IR
- "Partenariats locaux et internationaux pour des filières lait locales", Grain de sel n°81, Inter-réseaux Développement rural
- Capsules vidéo du webinaire "Lait local : Quels défis et opportunités pour la structuration des chaînes de valeur lait local ?"
- Des services numériques pour la collecte du lait, entretien avec Kossam SDE
- Bulletin de veille spécial "Développement des filières lait local : quel rôle pour les entreprises et les organisations paysannes ?"
Entretiens, témoignages
Webinaires et conférences
- Conférence Initiative Lait responsable, CFSI, AFDI Horizons solidaires, Guinée 44
- Le rôle des laiteries dans le développement des filières élevage au Sahel, FERDI
- Au Sénégal, les éleveurs et éleveuses du Dagana diversifient leurs débouchés commerciaux
- Soutenir la filière lait local en Afrique de l'Ouest, CFSI
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