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Collège Marguerite Berger

Atelier Lecture

Centre de Documentation et d'Information

Pour les élèves, l'atelier "Lecture" permet de lire un texte à voix haute, de façon claire, fluide, expressive, afin de se faire entendre et comprendre.

Quelles compétences ont été développées par les élèves?

Maîtriser une lecture orale.

Exprimer des intentions, des émotions, des sensations.

Savoir travailler en groupe et interagir entre élèves.

LeCTURE du conte "le PETIT POUCET"

Il était une fois...

Extrait n°1

lecture du conte "le PETIT POUCET"

Extrait n°2

Extrait n°3

LeCTURE DU CONTE "LE PETIT POUCET"

Extrait n°4

Extrait n°5

LES TEXTES LUS

Il était une fois...

extrait N°1

Extrait n°2

extrait n°3

extrait N°4

EXTRAIT N°5

Il était une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept enfants, tous des garçons. Ils étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce qu’aucun d’eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c’est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot (…). Il était fort petit, et, quand il vint au monde, il n’était guère plus gros que le pouce, ce qui fit qu’on l’appela le Petit Poucet.

Ils allèrent dans une forêt fort épaisse, où, à dix pas de distance, on ne se voyait pas l’un l’autre. Le bûcheron se mit à couper du bois, et ses enfants à ramasser des branches (...). Le père et la mère, les voyant occupés à travailler, s’éloignèrent d’eux insensiblement, et puis s’enfuirent tout à coup par un petit sentier détourné. Lorsque ces enfants se virent seuls, ils se mirent à crier et à pleurer de toute leur force. Le Petit Poucet les laissait crier, sachant bien par où il reviendrait à la maison, car en marchant il avait laissé tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu’il avait dans ses poches. Il leur dit donc : « Ne craignez point, mes frères ; mon père et ma mère nous ont laissés ici, mais je vous ramènerai à la maison : suivez-moi seulement. » Ils le suivirent, et il les mena jusqu’à leur maison, par le même chemin qu’ils étaient venus dans la forêt. Ils n’osèrent d’abord entrer, mais ils se mirent tous contre la porte, pour écouter ce que disaient leur père et leur mère.

Plus ils marchaient, plus ils s’égaraient, et s’enfonçaient dans la forêt. La nuit vint, et il s’éleva un grand vent qui leur faisait des peurs épouvantables. Ils croyaient entendre de tous les côtés des hurlements de loups qui venaient à eux pour les manger. (…) Le Petit Poucet grimpa au haut d’un arbre, pour voir s’il découvrirait quelque chose ; ayant tourné la tête de tous les côtés, il vit une petite lueur, comme celle d’une chandelle, au-delà de la forêt. Ils marchèrent quelques temps en allant du côté où le Petit Poucet avait vu la lumière. Ils arrivèrent enfin à la maison où était cette chandelle. Ils frappèrent à la porte. Une bonne femme vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu’ils voulaient. Le Petit Poucet lui dit qu’ils étaient de pauvres enfants, perdus dans la forêt. Cette femme, les voyant tous si jolis, se mit à pleurer, et leur dit : « Hélas ! mes pauvres enfants, savez-vous que c’est ici la maison d’un Ogre qui mange les petits enfants ?

Soudain, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’était l’Ogre qui revenait. Aussitôt sa femme les fit cacher sous le lit, et alla ouvrir la porte. L’Ogre demanda d’abord si le souper était prêt (…) et aussitôt se mit à table. Le mouton était encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Il flairait à droite et à gauche. — Je sens la chair fraîche, dit l’Ogre. Et en disant ces mots, il se leva de table, et alla droit au lit. Il les tira de dessous le lit, l’un après l’autre. Ces pauvres enfants se mirent à genoux, en lui demandant pardon ; mais ils avaient affaire au plus cruel de tous les ogres, qui, bien loin d’avoir de la pitié, les dévorait déjà des yeux, et disait à sa femme que ce seraient-là de succulents morceaux, lorsqu’elle leur aurait fait une bonne sauce. Il alla prendre un grand couteau ; et en approchant de ces pauvres enfants, il l’aiguisait sur une longue pierre, qu’il tenait à sa main gauche. Il en avait déjà empoigné un, lorsque sa femme lui dit : « Que voulez-vous faire à l’heure qu’il est ? n’aurez-vous pas assez de temps demain ? — Tais-toi, dit l’Ogre. — Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme : voilà un veau, deux moutons et la moitié d’un cochon ! — Tu as raison, dit l’Ogre : donne leur bien à souper, afin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. » L’Ogre se mit à boire. Il but une douzaine de coups de plus qu’à l’ordinaire : ce qui lui embrouilla un peu la tête, et l’obligea d’aller se coucher.

Au milieu de la nuit, l’Ogre se réveilla en sursaut. Il se leva et il monta à tâtons à la chambre de ses sept filles. Il s’approcha du lit où étaient les petits garçons, qui dormaient tous, sauf le Petit Poucet. L’Ogre, sentit les couronnes d’or et dit : « Vraiment, j’allais faire une terrible erreur ; je vois bien que j’ai trop bu hier soir. » Il alla ensuite au lit de ses filles, où, ayant senti les petits bonnets des garçons, il dit : « Ah ! les voilà ! ». Et en disant ces mots, il coupa, sans hésiter, la gorge de ses sept filles. L’Ogre ne s’était rendu compte de rien et il alla se recoucher dans sa chambre.

Aussitôt que le Petit Poucet entendit ronfler l’Ogre, il réveilla ses frères, et leur dit de s’habiller rapidement et de le suivre. Ils descendirent doucement dans le jardin et sautèrent par-dessus la muraille. Ils coururent presque toute la nuit, toujours en tremblant, et sans savoir où ils allaient. L’Ogre, s’étant réveillé, dit à sa femme :« Va chercher les petits garçons. » Sa femme monta et elle fut bien surprise, lorsqu’elle aperçut ses sept filles égorgées et nageant dans leur sang. Elle s’évanouit. L’Ogre monta pour l’aider. Il ne fut pas moins étonné que sa femme, lorsqu’il vit cet affreux spectacle. « Ah ! qu’ai-je fait là ? s’écria-t-il. Ils me le payeront, les malheureux ! »

Le conte original et intégral de charles perrault

Le Petit Poucet Il était une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept enfants, tous garçons. Ils étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce qu’aucun d’eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c’est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot : prenant pour bêtise ce qui était une marque de la bonté de son esprit. Il était fort petit, et, quand il vint au monde, il n’était guère plus gros que le pouce, ce qui fit qu’on l’appela le Petit Poucet. Ce pauvre enfant était le souffre-douleur de la maison, et on lui donnait toujours le tort. Cependant il était le plus fin et le plus avisé de tous ses frères, et, s’il parlait peu, il écoutait beaucoup. Il vint une année très fâcheuse, et la famine fut si grande que ces pauvres gens résolurent de se défaire de leurs enfants. Un soir que ces enfants étaient couchés, et que le bûcheron était auprès du feu avec sa femme, il lui dit, le cœur serré de douleur : « Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfants; je ne saurais les voir mourir de faim devant mes yeux, et je suis résolu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera bien aisé, car, tandis qu’ils s’amuseront à fagoter, nous n’avons qu’à nous enfuir sans qu’ils nous voient. — Ah ! s’écria la bûcheronne, pourrais-tu toi-même mener perdre tes enfants ! » Son mari avait beau lui représenter leur grande pauvreté, elle ne pouvait y consentir ; elle était pauvre, mais elle était leur mère. Cependant, ayant considéré quelle douleur ce lui serait de les voir mourir de faim, elle y consentit, et alla se coucher en pleurant. Le Petit Poucet ouït tout ce qu’ils dirent, car, ayant entendu, de dedans son lit, qu’ils parlaient d’affaires, il s’était levé doucement et s’était glissé sous l’escabelle de son père, pour les écouter sans être vu. Il alla se recoucher et ne dormit point du reste de la nuit, songeant à ce qu’il avait à faire. Il se leva de bon matin, et alla au bord d’un ruisseau, où il emplit ses poches de petits cailloux blancs, et ensuite revint à la maison. On partit, et le Petit Poucet ne découvrit rien de tout ce qu’il savait à ses frères. Ils allèrent dans une forêt fort épaisse, où, à dix pas de distance, on ne se voyait pas l’un l’autre. Le bûcheron se mit à couper du bois, et ses enfants à ramasser des broutilles pour faire des fagots. Le père et la mère, les voyant occupés à travailler, s’éloignèrent d’eux insensiblement, et puis s’enfuirent tout à coup par un petit sentier détourné. Lorsque ces enfants se virent seuls, ils se mirent à crier et à pleurer de toute leur force. Le Petit Poucet les laissait crier, sachant bien par où il reviendrait à la maison, car en marchant il avait laisser tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu’il avait dans ses poches. Il leur dit donc : « Ne craignez point, mes frères ; mon père et ma mère nous ont laissés ici, mais je vous ramènerai bien au logis : suivez-moi seulement. » Ils le suivirent, et il les mena jusqu’à leur maison, par le même chemin qu’ils étaient venus dans la forêt. Ils n’osèrent d’abord entrer, mais ils se mirent tous contre la porte, pour écouter ce que disaient leur père et leur mère. Dans le moment que le bûcheron et la bûcheronne arrivèrent chez eux, le seigneur du village leur envoya dix écus, qu’il leur devait il y avait longtemps, et dont ils n’espéraient plus rien. Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouraient de faim. Le bûcheron envoya sur l’heure sa femme à la boucherie. Comme il y avait longtemps qu’elle n’avait mangé, elle acheta trois fois plus de viande qu’il n’en fallait pour le souper de deux personnes. Lorsqu’ils furent rassasiés, la bûcheronne dit : « Hélas ! où sont maintenant nos pauvres enfants ! Ils feraient bonne chère de ce qui nous reste là. Mais aussi, Guillaume, c’est toi qui les a voulu perdre ; j’avais bien dit que nous nous en repentirions. Que font-ils maintenant dans cette forêt ? Hélas ! mon Dieu, les loups les ont peut-être déjà mangés ! Tu es bien inhumain d’avoir perdu ainsi tes enfants ! » Le bûcheron s’impatienta à la fin ; car elle redit plus de vingt fois qu’ils s’en repentiraient, et qu’elle l’avait bien dit. Il la menaça de la battre, si elle ne se taisait. Ce n’est pas que le bûcheron ne fût peut-être encore plus fâché que sa femme, mais c’est qu’elle lui rompait la tête, et qu’il était de l’humeur de beaucoup d’autres gens, qui aiment fort que les femmes disent bien, mais qui trouvent très-importunes celles qui ont toujours bien dit. La bûcheronne était tout en pleurs : « Hélas ! où sont maintenant mes enfants, mes pauvres enfants ! » Elle le dit une fois si haut, que les enfants, qui étaient à la porte, l’ayant entendu, se mirent à crier tous ensemble : « Nous voilà ! nous voilà ! » Elle courut vite leur ouvrir la porte, et leur dit en les embrassant : « Que je suis aise de vous revoir, mes chers enfants ! Vous êtes bien las, et vous avez bien faim ; et toi, Pierrot, comme te voilà crotté, viens que je te débarbouille. » Ce Pierrot était son fils aîné, qu’elle aimait plus que tous les autres, parce qu’il était un peu rousseau, et qu’elle était un peu rousse. Ils se mirent à table, et mangèrent d’un appétit qui faisait plaisir au père et à la mère, à qui ils racontaient la peur qu’ils avaient eue dans la forêt, en parlant presque toujours tous ensemble. Ces bonnes gens étaient ravis de revoir leurs enfants avec eux, et cette joie dura tant que les dix écus durèrent. Mais, lorsque l’argent fut dépensé, ils retombèrent dans leur premier chagrin, et résolurent de les perdre encore ; et, pour ne pas manquer leur coup, de les mener bien plus loin que la première fois. Ils ne purent parler de cela si secrètement qu’ils ne fussent entendus par le Petit Poucet, qui fit son compte de sortir d’affaire comme il avait déjà fait ; mais, quoiqu’il se fût levé de grand matin pour aller ramasser de petits cailloux, il ne put en venir à bout, car il trouva la porte de la maison fermée à double tour. Il ne savait que faire, lorsque, la bûcheronne leur ayant donné à chacun un morceau de pain pour leur déjeuner, il songea qu’il pourrait se servir de son pain au lieu de cailloux, en le jetant par miettes le long des chemins où ils passeraient : il le serra donc dans sa poche. Le père et la mère les menèrent dans l’endroit de la forêt le plus épais et le plus obscur ; et, dès qu’ils y furent, ils gagnèrent un faux-fuyant, et les laissèrent là. Le Petit Poucet ne s’en chagrina pas beaucoup, parce qu’il croyait retrouver aisément son chemin, par le moyen de son pain qu’il avait semé partout où il avait passé ; mais il fut bien surpris lorsqu’il ne put en retrouver une seule miette : les oiseaux étaient venus qui avaient tout mangé. Les voilà donc bien affligés ; car, plus ils marchaient, plus ils s’égaraient, et s’enfonçaient dans la forêt. La nuit vint, et il s’éleva un grand vent qui leur faisait des peurs épouvantables. Ils croyaient n’entendre de tous côtés que les hurlements de loups qui venaient à eux pour les manger. Ils n’osaient presque se parler, ni tourner la tête. Il survint une grosse pluie, qui les perça jusqu’aux os ; ils glissaient à chaque pas, et tombaient dans la boue, d’où ils se relevaient tout crottés, ne sachant que faire de leurs mains. Le Petit Poucet grimpa au haut d’un arbre, pour voir s’il ne découvrirait rien ; ayant tourné la tête de tous côtés, il vit une petite lueur comme d’une chandelle, mais qui était bien loin, par-delà la forêt. Il descendit de l’arbre, et, lorsqu’il fut à terre, il ne vit plus rien : cela le désola. Cependant, ayant marché quelque temps, avec ses frères, du côté qu’il avait vu la lumière, il la revit en sortant du bois. Ils arrivèrent enfin à la maison où était cette chandelle, non sans bien des frayeurs : car souvent ils la perdaient de vue ; ce qui leur arrivait toutes les fois qu’ils descendaient dans quelques fonds. Ils heurtèrent à la porte, et une bonne femme vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu’ils voulaient. Le petit Poucet lui dit qu’ils étaient de pauvres enfants qui s’étaient perdus dans la forêt, et qui demandaient à coucher par charité. Cette femme, les voyant tous si jolis, se mit à pleurer, et leur dit : « Hélas ! mes pauvres enfants, où êtes-vous venus ? Savez-vous bien que c’est ici la maison d’un Ogre qui mange les petits enfants ? — Hélas ! madame, lui répondit le Petit Poucet, qui tremblait de toute sa force, aussi bien que ses frères, que ferons-nous ? Il est bien sûr que les loups de la forêt ne manqueront pas de nous manger cette nuit si vous ne voulez pas nous retirer chez vous, et, cela étant, nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous mange ; peut-être qu’il aura pitié de nous si vous voulez bien l’en prier. » La femme de l’Ogre, qui crut qu’elle pourrait les cacher à son mari jusqu’au lendemain matin, les laissa entrer, et les mena se chauffer auprès d’un bon feu ; car il y avait un mouton tout entier à la broche, pour le souper de l’Ogre. Comme ils commençaient à se chauffer, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’était l’Ogre qui revenait. Aussitôt sa femme les fit cacher sous le lit, et alla ouvrir la porte. L’Ogre demanda d’abord si le souper était prêt, et si on avait tiré du vin, et aussitôt se mit à table. Le mouton était encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Il flairait à droite et à gauche, disant qu’il sentait la chair fraîche. « Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce veau que je viens d’habiller, que vous sentez. — Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre, en regardant sa femme de travers ; et il y a ici quelque chose que je n’entends pas. » En disant ces mots, il se leva de table, et alla droit au lit. « Ah ! dit-il, voilà donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sais à quoi il tient que je ne te mange aussi : bien t’en prend d’être une vieille bête. Voilà du gibier qui me vient bien à propos pour traiter trois ogres de mes amis, qui doivent me venir voir ces jours-ci. » Il les tira de dessous le lit, l’un après l’autre. Ces pauvres enfants se mirent à genoux, en lui demandant pardon ; mais ils avaient affaire au plus cruel de tous les ogres, qui, bien loin d’avoir de la pitié, les dévorait déjà des yeux, et disait à sa femme que ce seraient là de friands morceaux, lorsqu’elle leur aurait fait une bonne sauce. Il alla prendre un grand couteau ; et en approchant de ces pauvres enfants, il l’aiguisait sur une longue pierre, qu’il tenait à sa main gauche. Il en avait déjà empoigné un, lorsque sa femme lui dit : « Que voulez-vous faire à l’heure qu’il est ? n’aurez-vous pas assez de temps demain ? — Tais-toi, reprit l’Ogre, ils en seront plus mortifiés. — Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme : voilà un veau, deux moutons et la moitié d’un cochon ! — Tu as raison, dit l’Ogre : donne leur bien à souper, afin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. » La bonne femme fut ravie de joie, et leur porta bien à souper ! mais ils ne purent manger, tant ils étaient saisis de peur. Pour l’Ogre, il se remit à boire, ravi d’avoir de quoi si bien régaler ses amis. Il but une douzaine de coups de plus qu’à l’ordinaire : ce qui lui donna un peu dans la tête, et l’obligea de s’aller coucher. L’Ogre avait sept filles, qui n’étaient encore que des enfants. Ces petites ogresses avaient toutes le teint fort beau, parce qu’elles mangeaient de la chair fraîche, comme leur père ; mais elles avaient de petits yeux gris et tout ronds, le nez crochu, et une fort grande bouche, avec de longues dents fort aiguës et fort éloignées l’une de l’autre. Elles n’étaient pas encore fort méchantes ; mais elles promettaient beaucoup, car elles mordaient déjà les petits enfants pour en sucer le sang. On les avait fait coucher de bonne heure, et elles étaient toutes sept dans un grand lit, ayant chacune une couronne d’or sur la tête. Il y avait dans la même chambre un autre lit de la même grandeur : ce fut dans ce lit que la femme de l’Ogre mit coucher les sept petits garçons ; après quoi, elle s’alla coucher elle-même dans son lit. Le Petit Poucet, qui avait remarqué que les filles de l’Ogre avaient des couronnes d’or sur la tête, et qui craignait qu’il ne prît à l’Ogre quelque remords de ne les avoir pas égorgés dès le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, et prenant les bonnets de ses frères et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la tête des sept filles de l’Ogre, après leur avoir ôté leurs couronnes d’or, qu’il mit sur la tête de ses frères et sur la sienne, afin que l’Ogre les prît pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu’il voulait égorger. La chose réussit comme il l’avait pensé : car l’Ogre, s’étant éveillé sur le minuit, eut regret d’avoir différé au lendemain ce qu’il pouvait exécuter la veille. Il se jeta donc brusquement hors du lit, et, prenant son grand couteau : « Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits drôles ; n’en faisons pas à deux fois. » Il monta donc à tâtons à la chambre de ses filles, et s’approcha du lit où étaient les petits garçons, qui dormaient tous, excepté le Petit Poucet, qui eut bien peur lorsqu’il sentit la main de l’Ogre qui lui tâtait la tête, comme il avait tâté celles de tous ses frères. L’Ogre, qui sentit les couronnes d’or : « Vraiment, dit-il, j’allais faire là un bel ouvrage ; je vois bien que je bus trop hier soir. » Il alla ensuite au lit de ses filles, où, ayant senti les petits bonnets des garçons : « Ah ! les voilà, dit-il, nos gaillards ; travaillons hardiment. » En disant ces mots, il coupa, sans balancer, la gorge à ses sept filles. Fort content de cette expédition, il alla se recoucher dans sa chambre. Aussitôt que le Petit Poucet entendit ronfler l’Ogre, il réveilla ses frères, et leur dit de s’habiller promptement et de le suivre. Ils descendirent doucement dans le jardin et sautèrent par-dessus la muraille. Ils coururent presque toute la nuit, toujours en tremblant, et sans savoir où ils allaient. L’Ogre, s’étant réveillé, dit à sa femme : « Va-t’en là-haut habiller ces petits drôles d’hier au soir. » L’Ogresse fut fort étonnée de la bonté de son mari, ne se doutant point de la manière qu’il entendait qu’elle les habillât, et croyant qu’il lui ordonnait de les aller vêtir. Elle monta en haut, où elle fut bien surprise, lorsqu’elle aperçut ses sept filles égorgées et nageant dans leur sang. Elle commença par s’évanouir, car c’est le premier expédient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres. L’Ogre, craignant que sa femme ne fût trop longtemps à faire la besogne dont il l’avait chargée, monta en haut pour lui aider. Il ne fut pas moins étonné que sa femme, lorsqu’il vit cet affreux spectacle. « Ah ! qu’ai-je fait là ? s’écria-t-il. Ils me le payeront, les malheureux, et tout à l’heure. » Il jeta aussitôt une potée d’eau dans le nez de sa femme ; et, l’ayant fait revenir : « Donne-moi vite mes bottes de sept lieues, lui dit-il, afin que j’aille les attraper. » Il se mit en campagne, et, après avoir couru bien loin de tous les côtés, enfin il entra dans le chemin où marchaient ces pauvres enfants, qui n’étaient plus qu’à cent pas du logis de leur père. Ils virent l’Ogre qui allait de montagne en montagne, et qui traversait des rivières aussi aisément qu’il aurait fait le moindre ruisseau. Le Petit Poucet, qui vit un rocher creux proche du lieu où ils étaient, y fit cacher ses six frères et s’y fourra aussi, regardant toujours ce que l’Ogre deviendrait. L’Ogre, qui se trouvait fort las du long chemin qu’il avait fait inutilement (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme), voulut se reposer ; et, par hasard, il alla s’asseoir sur la roche où les petits garçons s’étaient cachés. Comme il n’en pouvait plus de fatigue, il s’endormit après s’être reposé quelque temps, et vint à ronfler si effroyablement, que les pauvres enfants n’eurent pas moins de peur que quand il tenait son grand couteau pour leur couper la gorge. Le Petit Poucet en eut moins de peur, et dit à ses frères de s’enfuir promptement à la maison pendant que l’Ogre dormait bien fort, et qu’ils ne se missent point en peine de lui. Ils crurent son conseil, et gagnèrent vite la maison. Le Petit Poucet, s’étant approché de l’Ogre, lui tira doucement ses bottes, et les mit aussitôt. Les bottes étaient fort grandes et fort larges ; mais, comme elles étaient fées, elles avaient le don de s’agrandir et de s’apetisser selon la jambe de celui qui les chaussait ; de sorte qu’elles se trouvèrent aussi justes à ses pieds et à ses jambes que si elles eussent été faites pour lui. Il alla droit à la maison de l’Ogre, où il trouva sa femme qui pleurait auprès de ses filles égorgées. « Votre mari, lui dit le Petit Poucet, est en grand danger ; car il a été pris par une troupe de voleurs, qui ont juré de le tuer s’il ne leur donne tout son or et tout son argent. Dans le moment qu’ils lui tenaient le poignard sur la gorge, il m’a aperçu et m’a prié de vous venir avertir de l’état où il est, et de vous dire de me donner tout ce qu’il a de vaillant, sans en rien retenir, parce qu’autrement ils le tueront sans miséricorde. Comme la chose presse beaucoup il a voulu que je prisse ses bottes de sept lieues que voilà, pour faire diligence, et aussi afin que vous ne croyiez pas que je suis un affronteur. » La bonne femme, fort effrayée, lui donna aussitôt tout ce qu’elle avait ; car cet Ogre ne laissait pas d’être fort bon mari, quoiqu’il mangeât les petits enfants. Le Petit Poucet, étant donc chargé de toutes les richesses de l’Ogre, s’en revint au logis de son père, où il fut reçu avec bien de la joie. Il y a bien des gens qui ne demeurent pas d’accord de cette dernière circonstance, et qui prétendent que le Petit Poucet n’a jamais fait ce vol à l’Ogre ; qu’à la vérité il n’avait pas fait conscience de lui prendre ses bottes de sept lieues, parce qu’il ne s’en servait que pour courir après les petits enfants. Ces gens-là assurent le savoir de bonne part, et même pour avoir bu et mangé dans la maison du bûcheron. Ils assurent que lorsque le Petit Poucet eut chaussé les bottes de l’Ogre, il s’en alla à la cour, où il savait qu’on était fort en peine d’une armée qui était à deux cents lieues de là, et du succès d’une bataille qu’on avait donnée. Il alla, disent-ils, trouver le roi et lui dit que, s’il le souhaitait, il lui rapporterait des nouvelles de l’armée avant la fin du jour. Le roi lui promit une grosse somme d’argent s’il en venait à bout. Le Petit Poucet rapporta des nouvelles, dès le soir même ; et, cette première course l’ayant fait connaître, il gagnait tout ce qu’il voulait ; car le roi le payait parfaitement bien pour porter ses ordres à l’armée ; et après avoir fait pendant quelque temps le métier de courrier, et y avoir amassé beaucoup de bien, il revint chez son père, où il n’est pas possible d’imaginer la joie qu’on eut de le revoir. Il mit toute sa famille à son aise. Il acheta des offices de nouvelle création pour son père et pour ses frères ; et par là il les établit tous, et fit parfaitement bien sa cour en même temps. Charles Perrault, "Le Petit Poucet", Contes de ma mère l'Oye ou Contes des temps passés, 1697.

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"La Barbe-Bleue" Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies, et des carrosses tout dorés. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était personne qui ne s’enfuît de devant lui. Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles. Il lui en demanda une en mariage. Elles n’en voulaient point toutes deux, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eût la barbe bleue. Ce qui les dégoûtait encore, c’est qu’il avait déjà épousé plusieurs femmes, et qu’on ne savait ce que ces femmes étaient devenues. La Barbe-Bleue, pour faire connaissance, les mena, avec leur mère et trois ou quatre de leurs meilleures amies à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n’étaient que promenades, que parties de chasse et de pêche, que danses et festins, que collations : enfin tout alla si bien que la cadette commença à trouver que le maître du logis était un fort honnête homme. Dès qu’on fut de retour à la ville, le mariage se conclut. Au bout d’un mois, la Barbe-Bleue dit à sa femme qu’il était obligé de faire un voyage en province, de six semaines au moins, pour une affaire de conséquence ; qu’il la priait de se bien divertir pendant son absence ; qu’elle fît venir ses bonnes amies ; qu’elle les menât à la campagne, si elle voulait ; que partout elle fît bonne chère. « Voilà, lui dit-il, les clefs des deux grands garde-meubles ; voilà celles de la vaisselle d’or et d’argent, qui ne sert pas tous les jours ; voilà celles de mes coffres-forts où est mon or et mon argent ; celles des cassettes où sont mes pierreries, et voilà le passe-partout de tous les appartements. Pour cette petite clef-ci, c’est la clef du cabinet au bout de la grande galerie de l’appartement bas : ouvrez tout, allez partout ; mais, pour ce petit cabinet, je vous défends d’y entrer, et je vous le défends de telle sorte que, s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. » Elle promit d’observer exactement tout ce qui lui venait d’être ordonné, et lui monte dans son carrosse, et part pour son voyage. Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n’ayant osé y venir pendant que le mari y était, à cause de sa barbe bleue, qui leur faisait peur. Les voilà aussitôt à parcourir les chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles et plus riches les unes que les autres. Elles montèrent ensuite aux garde-meubles, où elles ne pouvaient assez admirer le nombre et la beauté des tapisseries, des lits, des sofas des cabinets, des guéridons, des tables et des miroirs où l’on se voyait depuis les pieds jusqu’à la tête, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d’argent et de vermeil doré, étaient les plus belles et les plus magnifiques qu’on eût jamais vues. Elles ne cessaient d’exagérer et d’envier le bonheur de leur amie, qui, cependant, ne se divertissait point à voir toutes ces richesses, à cause de l’impatience qu’elle avait d’aller ouvrir le cabinet de l’appartement bas. Elle fut si pressée de sa curiosité, que, sans considérer qu’il était malhonnête de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu’elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Étant arrivée à la porte du cabinet, elle s’y arrêta quelque temps, songeant à la défense que son mari lui avait faite, et considérant qu’il pourrait lui arriver malheur d’avoir été désobéissante ; mais la tentation était si forte, qu’elle ne put la surmonter : elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet. D’abord elle ne vit rien, parce que les fenêtres étaient fermées. Après quelques moments, elle commença à voir que le plancher était tout couvert de sang caillé, et que, dans ce sang, se miraient les corps de plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs : c’était toutes les femmes que la Barbe-Bleue avait épousées, et qu’il avait égorgées l’une après l’autre. Elle pensa mourir de peur, et la clef du cabinet qu’elle venait de retirer de la serrure, lui tomba de la main. Après avoir un peu repris ses sens, elle ramassa la clef, referma la porte, et monta à sa chambre pour se remettre un peu ; mais elle n’en pouvait venir à bout, tant elle était émue. Ayant remarqué que la clef du cabinet était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois ; mais le sang ne s’en allait point : elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grès, il demeura toujours du sang, car la clef était fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait : quand on ôtait le sang d’un côté, il revenait de l’autre. La Barbe-Bleue revint de son voyage dès le soir même, et dit qu’il avait reçu des lettres, dans le chemin, qui lui avaient appris que l’affaire pour laquelle il était parti venait d’être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu’elle put pour lui témoigner qu’elle était ravie de son prompt retour. Le lendemain, il lui demanda les clefs ; et elle les lui donna, mais d’une main si tremblante, qu’il devina sans peine tout ce qui s’était passé. « D’où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n’est point avec les autres ? — Il faut, dit-elle, que je l’aie laissée là-haut sur ma table. — Ne manquez pas, dit la Barbe-Bleue, de me la donner tantôt. » Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe-Bleue, l’ayant considérée, dit à sa femme : Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ? — Je n’en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort. — Vous n’en savez rien ! reprit la Barbe-Bleue ; je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues. Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d’un vrai repentir, de n’avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, affligée comme elle était ; mais la Barbe-Bleue avait le cœur plus dur qu’un rocher. « Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l’heure. — Puisqu’il faut mourir, répondit-elle, en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu. — Je vous donne un demi-quart d’heure, reprit la Barbe-Bleue ; mais pas un moment davantage. » Lorsqu’elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit : Ma sœur Anne, car elle s’appelait ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour pour voir si mes frères ne viennent point ; ils m’ont promis qu’ils me viendraient voir aujourd’hui ; et, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée lui criait de temps en temps : "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?" Et la sœur Anne lui répondait : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. Cependant la Barbe Bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme : "Descends vite, ou je monterai là-haut." "Encore un moment, s’il vous plaît", lui répondait sa femme ; et aussitôt elle criait tout bas : "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? " Et la sœur Anne répondait : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. "Descends donc vite", criait la Barbe-Bleue, "ou je monterai là-haut." — Je m’en vais, répondait la femme ; et puis elle criait : Anne, ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ? — Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci… — Sont-ce mes frères ? — Hélas ! non, ma sœur : c’est un troupeau de moutons… "Ne veux tu pas descendre ?" criait la Barbe-Bleue — Encore un moment, répondait sa femme ; et puis elle criait : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore… Dieu soit loué ! s’écria-t-elle un moment après ; ce sont mes frères. Je leur fais signe tant que je puis de se hâter. La Barbe-Bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds tout épleurée et tout échevelée. « Cela ne sert de rien, dit la Barbe-Bleue ; il faut mourir. » Puis, la prenant d’une main par les cheveux, et de l’autre levant le coutelas en l’air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir. « Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu ; » et, levant son bras… Dans ce moment, on heurta si fort à la porte que la Barbe-Bleue s’arrêta tout court. On ouvrit, et aussitôt on vit entrer deux cavaliers, qui mettant l’épée à la main, coururent droit à la Barbe-Bleue. Il reconnut que c’était les frères de sa femme, l’un dragon et l’autre mousquetaire, de sorte qu’il s’enfuit aussitôt pour se sauver ; mais les deux frères le poursuivirent de si près qu’ils l’attrapèrent avant qu’il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort. La pauvre femme était presque aussi morte que son mari, et n’avait pas la force de se lever pour embrasser ses frères. Il se trouva que la Barbe-Bleue n’avait point d’héritiers et qu’ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur avec un gentilhomme, une autre partie à acheter des charges de capitaines à ses deux frères, et le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu’elle avait passé avec la Barbe-Bleue. Charles PERRAULT, "La Barbe-Bleue", Contes de ma mère l'Oye ou Contes du temps passé, 1697.

La Belle et la Bête Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et, comme ce marchand était un homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très belles ; mais la cadette, surtout, se faisait admirer, et on ne l’appelait, quand elle était petite, que La belle enfant ; en sorte que le nom lui en resta ; ce qui donna beaucoup de jalousie à ses sœurs. Cette cadette, qui était plus belle que ses sœurs, était aussi meilleure qu’elles. Les deux aînées avaient beaucoup d’orgueil, parce qu’elles étaient riches ; elles faisaient les dames, et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands ; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres. Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands les demandèrent en mariage ; mais les deux aînées répondirent qu’elles ne se marieraient jamais, à moins qu’elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins un comte. La Belle (car je vous ai dit que c’était le nom de la plus jeune), la Belle, dis-je, remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l’épouser ; mais elle leur dit : qu’elle était trop jeune, et qu’elle souhaitait de tenir compagnie à son père pendant quelques années. Tout d’un coup le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu’une petite maison de campagne, bien loin de la ville. Il dit en pleurant, à ses enfants, qu’il fallait aller demeurer dans cette maison, et, qu’en travaillant comme des paysans, ils y pourraient vivre. Ses deux filles aînées répondirent qu’elles ne voulaient pas quitter la ville, et qu’elles avaient plusieurs amants qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu’elles n’eussent plus de fortune : les bonnes demoiselles se trompaient ; leurs amants ne voulurent plus les regarder, quand elles furent pauvres. Comme personne ne les aimait à cause de leur fierté, on disait : « Elles ne méritent pas qu’on les plaigne, nous sommes bien aises de voir leur orgueil abaissé ; qu’elles aillent faire les dames en gardant les moutons ». Mais en même temps, tout le monde disait : « Pour la Belle, nous sommes bien fâchés de son malheur ; c’est une si bonne fille ; elle parlait aux pauvres gens avec tant de bonté ; elle était si douce, si honnête ». Il y eut même plusieurs gentilshommes qui voulurent l’épouser, quoiqu’elle n’eut pas un sou ; mais elle leur dit : qu’elle ne pouvait pas se résoudre à abandonner son pauvre père dans son malheur, et qu’elle le suivrait à la campagne, pour le consoler et lui aider à travailler. La pauvre Belle avait été bien affligée d’abord de perdre sa fortune ; mais elle s’était dit à elle-même : quand je pleurerai bien fort, mes larmes ne me rendront pas mon bien ; il faut tâcher d’être heureuse sans fortune. Quand ils furent arrivés à leur maison de campagne, le marchand et ses trois fils s’occupèrent à labourer la terre. La Belle se levait à quatre heures du matin, et se dépêchait de nettoyer la maison et d’apprêter à dîner pour la famille. Elle eut d’abord beaucoup de peine, car elle n’était pas accoutumée à travailler comme une servante ; mais, au bout de deux mois, elle devint plus forte, et la fatigue lui donna une santé parfaite. Quand elle avait fait son ouvrage, elle lisait, elle jouait du clavecin, ou bien elle chantait en filant. Ses deux sœurs, au contraire, s’ennuyaient à la mort ; elles se levaient à dix heures du matin, se promenaient toute la journée, et s’amusaient à regretter leurs beaux habits et les compagnies. Voyez notre cadette, disaient-elles entre elles, elle a l’âme basse, et est si stupide qu’elle est contente de sa malheureuse situation. Le bon marchand ne pensait pas comme ses filles. Il savait que la Belle était plus propre que ses sœurs à briller dans les compagnies. Il admirait la vertu de cette jeune fille, et surtout sa patience ; car ses sœurs, non contentes de lui laisser faire tout l’ouvrage de la maison, l’insultaient à tout moment. Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre, par laquelle on lui marquait qu’un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d’arriver heureusement. Cette nouvelle pensa tourner la tête à ses deux aînées, qui pensaient qu’à la fin elles pourraient quitter cette campagne, où elles s’ennuyaient tant ; et quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui demandait rien ; car elle pensait en elle-même, que tout l’argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses sœurs souhaitaient. Tu ne me pries pas de t’acheter quelque chose, lui dit son père. Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m’apporter une rose, car il n’en vient point ici. Ce n’est pas que la Belle se souciât d’une rose ; mais elle ne voulait pas condamner, par son exemple, la conduite de ses sœurs, qui auraient dit, que c’était pour se distinguer qu’elle ne demandait rien. Le bon homme partit ; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procès pour ses marchandises, et, après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu’il était auparavant. Il n’avait plus que trente milles pour arriver à sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants ; mais, comme il fallait passer un grand bois, avant de trouver sa maison, il se perdit. Il neigeait horriblement ; le vent était si grand, qu’il le jeta deux fois en bas de son cheval, et, la nuit étant venue, il pensa qu’il mourrait de faim ou de froid, ou qu’il serait mangé des loups, qu’il entendait hurler autour de lui. Tout d’un coup, en regardant au bout d’une longue allée d’arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que cette lumière sortait d’un grand palais qui était tout illuminé. Le marchand remercia Dieu du secours qu’il lui envoyait, et se hâta d’arriver à ce château ; mais il fut bien surpris de ne trouver personne dans les cours. Son cheval, qui le suivait, voyant une grande écurie ouverte, entra dedans ; et, ayant trouvé du foin et de l’avoine, le pauvre animal, qui mourait de faim, se jeta dessus avec beaucoup d’avidité. Le marchand l’attacha dans l’écurie, et marcha vers la maison, où il ne trouva personne ; mais, étant entré dans une grande salle, il y trouva un bon feu, et une table chargée de viande, où il n’y avait qu’un couvert. Comme la pluie et la neige l’avaient mouillé jusqu’aux os, il s’approcha du feu pour se sécher, et disait en lui-même : le maître de la maison ou ses domestiques me pardonneront la liberté que j’ai prise, et sans doute ils viendront bientôt. Il attendit pendant un temps considérable ; mais onze heures ayant sonné, sans qu’il vit personne, il ne put résister à la faim, et prit un poulet qu’il mangea en deux bouchées, et en tremblant. Il but aussi quelques coups de vin, et, devenu plus hardi, il sortit de la salle, et traversa plusieurs grands appartements, magnifiquement meublés. À la fin il trouva une chambre où il y avait un bon lit, et comme il était minuit passé, et qu’il était las, il prit le parti de fermer la porte et de se coucher. Il était dix heures du matin quand il se leva le lendemain, et il fut bien surpris de trouver un habit fort propre à la place du sien qui était tout gâté. Assurément, dit-il, en lui-même, ce palais appartient à quelque bonne Fée qui a eu pitié de ma situation. Il regarda par la fenêtre et ne vit plus de neige ; mais des berceaux de fleurs qui enchantaient la vue. Il rentra dans la grande salle où il avait soupé la veille, et vit une petite table où il y avait du chocolat. Je vous remercie, madame la Fée, dit-il tout haut, d’avoir eu la bonté de penser à mon déjeuner. Le bon homme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval, et, comme il passait sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche où il y en avait plusieurs. En même tems, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une Bête si horrible, qu’il fut tout prêt de s’évanouir. « Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête, d’une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et, pour ma peine, vous me volez mes roses que j’aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute ; je ne vous donne qu’un quart d’heure pour demander pardon à Dieu. Le marchand se jeta à genoux, et dit à la bête, en joignant les mains : — Monseigneur, pardonnez-moi, je ne croyais pas vous offenser en cueillant une rose pour une de mes filles, qui m’en avait demandé. — Je ne m’appelle point monseigneur, répondit le monstre, mais la Bête. Je n’aime point les compliments, moi, je veux qu’on dise ce que l’on pense ; ainsi, ne croyez pas me toucher par vos flatteries ; mais vous m’avez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu’une de vos filles vienne volontairement, pour mourir à votre place : ne me raisonnez pas ; partez, et si vos filles refusent de mourir pour vous, jurez que vous reviendrez dans trois mois. Le bon homme n’avait pas dessein de sacrifier une de ses filles à ce vilain monstre ; mais il pensa, au moins, j’aurai le plaisir de les embrasser encore une fois. Il jura donc de revenir, et la Bête lui dit qu’il pouvait partir quand il voudrait ; mais, ajouta-t-elle, je ne veux pas que tu t’en ailles les mains vides. Retourne dans la chambre où tu as couché, tu y trouveras un grand coffre vide ; tu peux y mettre tout ce qui te plaira ; je le ferai porter chez toi. En même temps, la Bête se retira, et le bon homme dit en lui-même ; s’il faut que je meure, j’aurai la consolation de laisser du pain à mes pauvres enfants. Il retourna dans la chambre où il avait couché, et, y ayant trouvé une grande quantité de pièces d’or, il remplit le grand coffre, dont la Bête lui avait parlé, le ferma, et, ayant repris son cheval qu’il retrouva dans l’écurie, il sortit de ce palais avec une tristesse égale à la joie qu’il avait, lorsqu’il y était entré. Son cheval prit de lui-même une des routes de la forêt, et en peu d’heures, le bon homme arriva dans sa petite maison. Ses enfants se rassemblèrent autour de lui ; mais, au lieu d’être sensible à leurs caresses, le marchand se mit à pleurer en les regardant. Il tenait à la main la branche de roses, qu’il apportait à la Belle : il la lui donna, et lui dit : "la Belle, prenez ces roses ; elles coûteront bien cher à votre malheureux père" ; et tout de suite, il raconta à sa famille la funeste aventure qui lui était arrivée. À ce récit, ses deux aînées jetèrent de grands cris, et dirent des injures à la Belle qui ne pleurait point. Voyez ce que produit l’orgueil de cette petite créature, disaient-elles ; que ne demandait-elle des ajustements comme nous ? mais non, mademoiselle voulait se distinguer ; elle va causer la mort de notre père et elle ne pleure pas. Cela serait fort inutile, reprit la Belle, pourquoi pleurerais-je la mort de mon père ? il ne périra point. Puisque le monstre veut bien accepter une de ses filles, je veux me livrer à toute sa furie, et je me trouve fort heureuse, puisqu’en mourant j’aurai la joie de sauver mon père et de lui prouver ma tendresse. Non, ma sœur, lui dirent ses trois frères, vous ne mourrez pas, nous irons trouver ce monstre, et nous périrons sous ses coups, si nous ne pouvons le tuer. Ne l’espérez pas, mes enfants, leur dit le marchand, la puissance de cette Bête est si grande, qu’il ne me reste aucune espérance de la faire périr. Je suis charmé du bon cœur de la Belle, mais je ne veux pas l’exposer à la mort. Je suis vieux, il ne me reste que peu de temps à vivre ; ainsi, je ne perdrai que quelques années de vie, que je ne regrette qu’à cause de vous, mes chers enfants. Je vous assure, mon père, lui dit la Belle, que vous n’irez pas à ce palais sans moi ; vous ne pouvez m’empêcher de vous suivre. Quoique je sois jeune, je ne suis pas fort attachée à la vie, et j’aime mieux être dévorée par ce monstre, que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte. On eut beau dire, la Belle voulut absolument partir pour le beau palais, et ses sœurs en étaient charmées, parce que les vertus de cette cadette leur avaient inspiré beaucoup de jalousie. Le marchand était si occupé de la douleur de perdre sa fille, qu’il ne pensait pas au coffre qu’il avait rempli d’or ; mais, aussitôt qu’il se fut renfermé dans sa chambre pour se coucher, il fut bien étonné de le trouver à la ruelle de son lit. Il résolut de ne point dire à ses enfants qu’il était devenu si riche, parce que ses filles auraient voulu retourner à la ville ; qu’il était résolu de mourir dans cette campagne ; mais il confia ce secret à la Belle qui lui apprit qu’il était venu quelques gentilshommes pendant son absence, et qu’il y en avait deux qui aimaient ses sœurs. Elle pria son père de les marier ; car elle était si bonne qu’elle les aimait, et leur pardonnait de tout son cœur le mal qu’elles lui avaient fait. Ces deux méchantes filles se frottaient les yeux avec un oignon, pour pleurer lorsque la Belle partit avec son père ; mais ses frères pleuraient tout de bon, aussi bien que le marchand : il n’y avait que la Belle qui ne pleurait point, parce qu’elle ne voulait pas augmenter leur douleur. Le cheval prit la route du palais, et sur le soir ils l’aperçurent illuminé, comme la première fois. Le cheval fut tout seul à l’écurie, et le bon homme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trouvèrent une table magnifiquement servie, avec deux couverts. Le marchand n’avait pas le cœur de manger ; mais Belle s’efforçant de paraître tranquille, se mit à table, et le servit ; puis elle disait en elle-même : la Bête veut m’engraisser avant de me manger, puisqu’elle me fait si bonne chère. Quand ils eurent soupé, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant ; car il pensait que c’était la Bête. Belle ne put s’empêcher de frémir en voyant cette horrible figure ; mais elle se rassura de son mieux, et le monstre lui ayant demandé si c’était de bon cœur qu’elle était venue ; elle lui dit, en tremblant, qu’oui. Vous êtes bien bonne, dit la Bête, et je vous suis bien obligé. Bon homme, partez demain matin, et ne vous avisez jamais de revenir ici. Adieu, la Belle. Adieu, la Bête, répondit-elle, et tout de suite le monstre se retira. Ah ! ma fille, lui dit le marchand, en embrassant la Belle, je suis à demi-mort de frayeur. Croyez-moi, laissez-moi ici ; non, mon père, lui dit la Belle avec fermeté, vous partirez demain matin, et vous m’abandonnerez au secours du ciel ; peut-être aura-t-il pitié de moi. Ils furent se coucher, et croyaient ne pas dormir de toute la nuit ; mais à peine furent-ils dans leurs lits que leurs yeux se fermèrent. Pendant son sommeil, la Belle vit une dame qui lui dit : « Je suis contente de votre bon cœur, la Belle ; la bonne action que vous faites, en donnant votre vie, pour sauver celle de votre père, ne demeurera point sans récompense ». La Belle, en s’éveillant, raconta ce songe à son père, et, quoiqu’il le consolât un peu, cela ne l’empêcha pas de jeter de grands cris, quand il fallut se séparer de sa chère fille. Lorsqu’il fut parti, la Belle s’assit dans la grande salle, et se mit à pleurer aussi ; mais, comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu, et résolut de ne point se chagriner, pour le peu de temps qu’elle avait à vivre ; car elle croyait fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant, et de visiter ce beau château. Elle ne pouvait s’empêcher d’en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise de trouver une porte, sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle. Elle ouvrit cette porte avec précipitation, et elle fut éblouie de la magnificence qui y régnait ; mais ce qui frappa le plus sa vue fut une grande bibliothèque, un clavecin, et plusieurs livres de musique. On ne veut pas que je m’ennuie, dit-elle, tout bas ; elle pensa ensuite, si je n’avais qu’un jour à demeurer ici, on ne m’aurait pas fait une telle provision. Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque, et vit un livre où il y avait écrit en lettres d’or : Souhaitez, commandez ; vous êtes ici la reine et la maîtresse. Hélas ! dit-elle, en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon pauvre père, et de savoir ce qu’il fait à présent : elle avait dit cela en elle-même. Quelle fut sa surprise ! en jetant les yeux sur un grand miroir, d’y voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste. Ses sœurs venaient au-devant de lui, et, malgré les grimaces qu’elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu’elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment après, tout cela disparut, et la Belle ne put s’empêcher de penser que la Bête était bien complaisante, qu’elle n’avait rien à craindre d’elle. À midi, elle trouva la table mise, et, pendant son dîner elle entendit un excellent concert, quoiqu’elle ne vît personne. Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s’empêcher de frémir. La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous vois souper ? — Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant. — Non, répondit la Bête, il n’y a ici de maîtresse que vous. Vous n’avez qu’à me dire de m’en aller si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n’est-ce pas que vous me trouvez bien laid ? — Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon. — Vous avez raison, dit le monstre, mais, outre que je suis laid, je n’ai point d’esprit : je sais bien que je ne suis qu’une Bête. — On n’est pas Bête, reprit la Belle, quand on croit n’avoir point d’esprit : un sot n’a jamais su cela. — Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre ; et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison, car tout ceci est à vous ; et j’aurais du chagrin, si vous n’étiez pas contente. — Vous avez bien de la bonté, lui dit la Belle. Je vous avoue que je suis bien contente de votre cœur ; quand j’y pense, vous ne me paraissez plus si laid. — Oh dame, oui, répondit la Bête, j’ai le cœur bon, mais je suis un monstre. — Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle; et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d’hommes, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat. — Si j’avais de l’esprit, reprit la Bête, je vous ferais un grand compliment pour vous remercier ; mais je suis un stupide, et tout ce que je puis vous dire, c’est que je vous suis bien obligé. La Belle soupa de bon appétit. Elle n’avait presque plus peur du monstre ; mais elle manqua mourir de frayeur, lorsqu’il lui dit : « La Belle, voulez-vous être ma femme ? » Elle fut quelque temps sans répondre. Elle avait peur d’exciter la colère du monstre, en le refusant : elle lui dit pourtant en tremblant : "Non la Bête". Dans ce moment, ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sifflement si épouvantable, que tout le palais en retentit ; mais Belle fut bientôt rassurée, car la Bête lui ayant dit tristement "Adieu donc la Belle", sortit de la chambre, en se retournant de temps en temps pour la regarder encore. Belle se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête : Hélas ! disait-elle, c’est bien dommage qu’elle soit si laide, elle est si bonne ! Belle passa trois mois dans ce palais avec assez de tranquillité. Tous les soirs, la Bête lui rendait visite, l’entretenait pendant le souper, avec assez de bon sens, mais jamais avec ce qu’on appelle esprit, dans le monde. Chaque jour, Belle découvrait de nouvelles bontés dans ce monstre. L’habitude de le voir l’avait accoutumée à sa laideur ; et, loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre, pour voir s’il était bientôt neuf heures ; car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n’y avait qu’une chose qui faisait de la peine à la Belle, c’est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur lorsqu’elle lui disait que non. Elle dit un jour : « Vous me chagrinez, la Bête ; je voudrais pouvoir vous épouser, mais je suis trop sincère pour vous faire croire que cela arrivera jamais. Je serai toujours votre amie ; tâchez de vous contenter de cela. — Il le faut bien, reprit la Bête ; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible ; mais je vous aime beaucoup ; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici ; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais ». La Belle rougit à ces paroles. Elle avait vu dans son miroir que son père était malade de chagrin de l’avoir perdue ; et elle souhaitait de le revoir. « Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout-à-fait ; mais j’ai tant d’envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. — J’aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père ; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. — Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime trop pour vouloir causer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours. Vous m’avez fait voir que mes sœurs sont mariées, et que mes frères sont partis pour l’armée. Mon père est tout seul, souffrez que je reste chez lui une semaine. — Vous y serez demain au matin, dit la Bête ; mais souvenez-vous de votre promesse. Vous n’aurez qu’à mettre votre bague sur une table en vous couchant, quand vous voudrez revenir. Adieu, la Belle ». La Bête soupira selon sa coutume, en disant ces mots, et la Belle se coucha toute triste de la voir affligée. Quand elle se réveilla le matin, elle se trouva dans la maison de son père ; et, ayant sonné une clochette qui était à côté de son lit, elle vit venir la servante qui fit un grand cri en la voyant. Le bon homme accourut à ce cri, et manqua mourir de joie en revoyant sa chère fille ; et ils se tinrent embrassés plus d’un quart-d’heure. La Belle, après les premiers transports, pensa qu’elle n’avait point d’habits pour se lever ; mais la servante lui dit, qu’elle venait de trouver dans la chambre voisine un grand coffre plein de robes toutes d’or, garnies de diamants. Belle remercia la bonne Bête de ses attentions ; elle prit la moins riche de ces robes, et dit à la servante de serrer les autres, dont elle voulait faire présent à ses sœurs ; mais à peine eut-elle prononcé ces paroles, que le coffre disparut. Son père lui dit que la Bête voulait qu’elle gardât tout cela pour elle ; et aussitôt les robes et le coffre revinrent à la même place. La Belle s’habilla ; et, pendant ce temps on fut avertir ses sœurs qui accoururent avec leurs maris ; elles étaient toutes deux fort malheureuses. L’aînée avait épousé un gentilhomme, beau comme le jour ; mais il était si amoureux de sa propre figure, qu’il n’était occupé que de cela, depuis le matin jusqu’au soir, et méprisait la beauté de sa femme. La seconde avait épousé un homme qui avait beaucoup d’esprit ; mais il ne s’en servait que pour faire enrager tout le monde, et sa femme toute la première. Les sœurs de la Belle manquèrent de mourir de douleur, quand elles la virent habillée comme une princesse, et plus belle que le jour. Elle eut beau les caresser, rien ne put étouffer leur jalousie, qui augmenta beaucoup, quand elle leur eut conté combien elle était heureuse. Ces deux jalouses descendirent dans le jardin pour y pleurer tout à leur aise, et elles se disaient : « Pourquoi cette petite créature est-elle plus heureuse que nous ? Ne sommes-nous pas plus aimables qu’elle ? — Ma sœur, dit l’aînée, il me vient une pensée ; tâchons de l’arrêter ici plus de huit jours ; sa sotte Bête se mettra en colère de ce qu’elle lui aura manqué de parole, et peut-être qu’elle la dévorera. — Vous avez raison, ma sœur, répondit l’autre. Pour cela, il lui faut faire de grandes caresses ; et, ayant pris cette résolution, elles remontèrent, et firent tant d’amitié à leur sœur, que la Belle en pleura de joie. Quand les huit jours furent passés, les deux sœurs s’arrachèrent les cheveux, et firent tant les affligées de son départ, qu’elle promit de rester encore huit jours chez son père. Cependant Belle se reprochait le chagrin qu’elle allait donner à sa pauvre Bête, qu’elle aimait de tout son cœur, et elle s’ennuyait de ne plus la voir. La dixième nuit qu’elle passa chez son père, elle rêva qu’elle était dans le jardin du palais, et qu’elle voyait la Bête couchée sur l’herbe et près de mourir, qui lui reprochait son ingratitude. La Belle se réveilla en sursaut, et versa des larmes. — Ne suis-je pas bien méchante, disait-elle, de donner du chagrin à une Bête qui a pour moi tant de complaisance ? Est-ce sa faute si elle est si laide, et si elle a peu d’esprit ? Elle est bonne, cela vaut mieux que tout le reste. Pourquoi n’ai-je pas voulu l’épouser ? Je serais plus heureuse avec elle, que mes sœurs avec leurs maris. Ce n’est ni la beauté, ni l’esprit d’un mari qui rendent une femme contente : c’est la bonté du caractère, la vertu, la complaisance ; et la Bête a toutes ces bonnes qualités. Je n’ai point d’amour pour elle, mais j’ai de l’estime, de l’amitié, de la reconnaissance. Allons, il ne faut pas la rendre malheureuse : je me reprocherais toute ma vie mon ingratitude. À ces mots, Belle se lève, met sa bague sur la table, et revient se coucher. À peine fut-elle dans son lit, qu’elle s’endormit ; et, quand elle se réveilla le matin, elle vit avec joie qu’elle était dans le palais de la Bête. Elle s’habilla magnifiquement pour lui plaire, et s’ennuya à mourir toute la journée, en attendant neuf heures du soir ; mais l’horloge eut beau sonner, la Bête ne parut point. La Belle alors craignit d’avoir causé sa mort. Elle courut tout le palais, en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché par-tout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l’avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu’elle était morte. Elle se jeta sur son corps, sans avoir horreur de sa figure ; et, sentant que son cœur battait encore, elle prit de l’eau dans le canal, et lui en jeta sur la tête. La bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle : « Vous avez oublié votre promesse ; le chagrin de vous avoir perdue m’a fait résoudre à me laisser mourir de faim ; mais je meurs content, puisque j’ai le plaisir de vous revoir encore une fois. — Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu’à vous. Hélas ! je croyais n’avoir que de l’amitié pour vous ; mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir. À peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles qu’elle vit le château brillant de lumière ; les feux d’artifices, la musique, tout lui annonçait une fête ; mais toutes ces beautés n’arrêtèrent point sa vue : elle se retourna vers sa chère Bête, dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa surprise ! la Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l’Amour, qui la remerciait d’avoir fini son enchantement. Quoique ce prince méritât toute son attention, elle ne put s’empêcher de lui demander où était la Bête. — Vous la voyez à vos pieds, lui dit le prince. Une méchante fée m’avait condamné à rester sous cette figure, jusqu’à ce qu’une belle fille consentit à m’épouser, et elle m’avait défendu de faire paraître mon esprit. Ainsi, il n’y avait que vous dans le monde, assez bonne pour vous laisser toucher à la bonté de mon caractère ; et, en vous offrant ma couronne, je ne puis m’acquitter des obligations que je vous ai. La Belle, agréablement surprise, donna la main à ce beau prince pour se relever. Ils allèrent ensemble au château, et la Belle manqua mourir de joie en trouvant, dans la grande salle, son père et toute sa famille, que la belle dame, qui lui était apparue en songe, avait transportée au château. — Belle, lui dit cette dame qui était une grande fée, venez recevoir la récompense de votre bon choix : vous avez préféré la vertu à la beauté et à l’esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même personne. Vous allez devenir une grande reine : j’espère que le trône ne détruira pas vos vertus. — Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux sœurs de Belle, je connais votre cœur et toute la malice qu’il renferme. Devenez deux statues ; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. Vous demeurerez à la porte du palais de votre sœur, et je ne vous impose point d’autre peine que d’être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état qu’au moment où vous reconnaîtrez vos fautes ; mais j’ai bien peur que vous ne restiez toujours statues. On se corrige de l’orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la paresse : mais c’est une espèce de miracle que la conversion d’un cœur méchant et envieux. Dans le moment, la fée donna un coup de baguette qui transporta tous ceux qui étaient dans cette salle, dans le royaume du prince. Ses sujets le virent avec joie, et il épousa la Belle qui vécut avec lui fort longtemps, et dans un bonheur parfait, parce qu’il était fondé sur la vertu. Jeanne Marie LEPRINCE DE BEAUMONT, "La Belle et la Bête", Contes moraux pour l'instruction de la jeunesse, 1806.

Hansel et Gretel Dans une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, son épouse et ses deux enfants ; le garçon s’appelait Hansel et la jeune fille Gretel. Il avait peu à manger et à partager, et lorsque les prix s’envolèrent dans le pays, il ne put plus ramener le pain quotidien. Alors qu’il faisait sa prière du soir en cherchant une solution à ses problèmes, il soupira et parla à sa femme : "Qu’allons-nous devenir ? Comment pourrions-nous nourrir nos pauvres enfants alors que nous n’avons pour nous-mêmes plus rien ?" "Sais-tu quoi mon époux ? répondit la femme, nous conduirons tôt demain les enfants dans la forêt, là où elle est la plus dense. Nous y ferons du feu et nous donnerons à chacun un morceau de pain, et puis nous irons travailler en les laissant seuls. Ils ne trouveront plus le chemin de la maison et nous en serons débarrassés." "Non femme, dit l’homme, je ne ferai jamais cela ; comment pourrais-je supporter de laisser mes enfants seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages les dévoreraient aussitôt." "Oh fou ! dit-elle, alors, nous devrions tous les quatre mourir de faim, tu n’aurais plus qu’à nous façonner nos cercueils, et elle ne le laissa plus tranquille jusqu’à ce qu’il se décidât." "Mais les pauvres enfants me manqueront aussi", dit l’homme. Cependant les deux enfants qui ne s’étaient pas endormis, du fait de leur manque de nourriture, avaient entendu ce que leur belle-mère racontait à leur père. Gretel pleurait des larmes amères et dit à Hansel : "Que nous advient-il ?" "Calme-toi Gretel dit, ne t’inquiète pas, je vais nous en tirer." Et alors que les parents dormaient, il se leva, enfila sa camisole, ouvrit la sous-porte puis se faufila dehors. La lune brillait de tous ses rayons, et les graviers qui jonchaient le devant de la maison scintillaient comme une multitude de Batzen. Hansel se pencha et en enfouit dans ses poches autant qu’elles pouvaient en contenir jusqu’à en déborder. Puis il rentra et dit à Gretel : "Sois rassurée ma chère sœur et endors-toi en paix, Dieu ne nous laissera pas tomber." Puis il s’allongea dans son lit. Lorsque le jour poignit, juste quand le soleil fut levé, la femme vint réveiller les enfants : "Levez-vous, fainéants, nous devons aller en forêt chercher du bois." Puis elle leur donna à chacun un morceau de pain et ajouta "Vous avez ainsi de quoi manger pour le déjeuner, mais ne le mangez pas avant car vous n’aurez plus rien après." Gretel prit le pain dans sa blouse car Hansel avait les cailloux dans ses poches. Puis ils se mirent en route pour la forêt. Lorsqu’ils eurent fait un bout de chemin, Hansel s’arrêta et regarda vers la maison puis il après quelques pas il recommençait à nouveau. Le père dit alors : " Hansel, que regardes-tu là-bas et pourquoi restes-tu en arrière, fais attention et n’oublie pas tes jambes !" "Ah mon père, dit Hansel, je regarde mon chat blanc qui est assis en haut sur le toit et qui veut me dire adieu." La femme déclara : "Idiot, ce n’est pas ton chat, c’est le soleil qui brille sur la cheminée." Hansel ne regardait pas le chat mais jetait à chaque fois un caillou blanc de sa poche... Une fois arrivé au milieu de la forêt, le père dit : "Allez les enfants, ramassez du bois je vais vous faire un feu pour ne pas que vous ayez froid." Hansel et Gretel ramenèrent quelques fagots de quoi en faire un joli tas. On mit le feu au tas et quand les flammes s’élevèrent, la femme déclara : "Mettez-vous près du feu les enfants, reposez-vous nous allons dans la forêt couper du bois. Lorsque nous en aurons fini, nous reviendrons vous chercher." Hansel et Gretel s’assirent près du feu et lorsque midi fut venu, ils mangèrent chacun un petit morceau de pain. Et parce qu’ils entendaient les coups de la cognée, ils pensaient que leur père était proche. Mais ce n’était pas les coups de la cognée, c’était une branche qu’il avait attaché à un arbre mort et que le vent balançait deci delà. Comme ils étaient assis depuis un long moment, le sommeil leur vint et ils s’endormirent. Lorsqu’ils s’éveillèrent, le crépuscule était déjà bien avancé. Gretel se mit à pleurer et dit : "Comment allons-nous sortir du bois maintenant ?" Hansel la consola "Attends un peu que la lune se lève, nous retrouverons enfin notre chemin." Et quand la lune fut bien levée, Gretel prit sa sœur par la main et suivit les cailloux blancs qu’il avait semés. Ils scintillaient comme des Batzen fraîchement frappés et leur montraient le chemin. Ils marchèrent toute la nuit et arrivèrent à potron-minet devant la maison de leur père. Ils frappèrent à la porte, la femme ouvrit et lorsqu’elle s’aperçut que c’était Hansel et Gretel, elle leur dit : "Méchants enfants, pourquoi avez dormi aussi longtemps dans la forêt ? Nous avons cru que vous ne vouliez plus revenir à la maison." Mais le père se réjouissait car il s’en voulait de les avoir laissés seuls. Peu de temps après, la misère s’étant de nouveau répandue dans toute la contrée. Les enfants entendaient de nouveau comment la mère, la nuit dans son lit, parlait à son mari : "Tout est de nouveau précaire, nous n’avons plus qu’une demi-miche de pain. Toute chanson a une fin. Nous devons nous séparer des enfants, nous devons les emmener plus loin dans la forêt afin qu’ils ne puissent plus retrouver le chemin du retour ; nous n’avons plus le choix." L’homme se sentit bouleversé et il pensa : Ce serait mieux que tu partages les dernières bouchées avec tes enfants. Mais la femme ne prêtait aucune attention à ses paroles, elle fit tout pour qu’il change d’idée. Elle lui fit des reproches. Qui dit oui une fois doit le dire deux fois, et s’il s’est rendu une fois il se rendra à nouveau. Tandis que les parents dormaient, Hansel se leva de nouveau, et voulut sortir pour ramasser des graviers comme la fois précédente mais la femme avait fermé la porte à clé et Jeannot ne put sortir. Il rassura sa sœur et lui dit : "Ne pleure pas Gretel, dors tranquillement, le Bon Dieu nous viendra en aide !" Tôt le matin, la femme vint tirer les enfants du lit. Ils reçurent leur morceau de pain qui était encore plus petit que la fois précédente. En cheminant, Hansel le brisait dans sa poche, s’arrêtait et jetait une miette sur le sol. " ! Hansel, pourquoi t’arrêtes-tu et regardes-tu autour de toi ? l’interpellait le père, avance !" "Je regarde ma colombe qui se tient sur le toit et me fait au revoir" répondit Hansel. "Idiot dit la femme, ce n’est pas ta colombe, c’est le soleil qui se lève et qui brille sur la cheminée." Mais Hansel continuait à jeter ses miettes sur le chemin. La femme emmena les enfants encore plus profondément dans la forêt, plus profond qu’elle ne fut jamais allée dans sa vie. Là ils firent un feu encore plus fort et la mère dit : "Restez ici les enfants, et si vous êtes un peu fatigués, vous pouvez dormir un peu. Nous allons dans la forêt couper du bois, et ce soir, lorsque nous en aurons fini, nous viendrons vous reprendre." Vers midi, Gretel partagea son pain avec Hansel qui avait éparpillé le sien sur le chemin. Puis ils s’endormirent. Le soir vint mais personne ne vint reprendre les pauvres enfants. Ils se réveillèrent au beau milieu de la nuit, Hansel rassura sa sœur et lui dit : "Attends Gretel, jusqu’à ce que la lune se lève, nous verrons les miettes de pain que j’ai semées ils nous montreront le chemin de la maison." Lorsque la lune fut haute, ils se levèrent, mais ils ne trouvèrent aucune miette de pain, car les milliers d’oiseaux qui voletaient dans les bois et les prés les avaient picorées. Hansel dit à Gretel : "Nous retrouverons notre chemin." Mais ils ne le retrouvèrent pas. Ils marchèrent toute la nuit et le jour entier encore du matin au soir mais ils ne trouvèrent jamais la sortie de la forêt et étaient si affamés car ils n’avaient rien de mieux que les quelques baies qu’ils trouvaient de-ci delà. Comme ils étaient trop fatigués et que leurs jambes refusaient de les porter plus loin, ils s’allongèrent sous un arbre et s’endormirent. C’était déjà le troisième jour, qu’ils avaient quitté la maison de leur père. Ils se remirent en marche mais ils s’enfoncèrent encore plus dans la forêt et si plus aucune aide ne leur venait, ils s’affaibliraient. Lorsque midi vint, ils virent un bel oiseau blanc perché sur une haute branche et qui lançait de si beaux trilles qu’ils restèrent à l’écouter. Lorsqu’il eut fini, il étendit ses ailes et se mit à voleter autour d’eux, ils le suivirent jusqu’à ce qu’ils arrivent à un cabanon sur le toit duquel il se jucha et lorsqu’ils s’approchèrent, ils virent que le cabanon était fait de pain que le toit était fait de gâteaux, les fenêtres de sucre transparent. "Voilà où nous pouvons nous installer", dit Hansel, "et avoir un repas béni. Je veux bien manger un morceau de toit, Gretel, tu peux manger la fenêtre, c’est sucré." Hansel se hissa sur le toit et ramena un peu du faîtage pour le goûter, tandis que Gretel se tenait près de la fenêtre et la grignotait. Alors retentit une petite voix et qui venait du cabanon. "Grignotti, grignotti, qui grignote ma maison ?" Les enfants répondirent : "Le vent, le vent, la brise légère", et ils mangeaient sans s’arrêter, sans se laisser distraire. Hansel, à qui le toit plaisait beaucoup, en prit un bon morceau, Gretel brisa un morceau rond de la fenêtre, s’assit et s’en rassasia. Soudain la porte s’ouvrit et une très vieille femme apparut appuyée sur une canne. Hansel et Gretel en furent tellement effrayés qu’ils en laissèrent tomber ce qu’ils avaient dans les mains. La vieille femme branlait du chef et s’exclama : "Hé ! mes enfants, qui vous a emmenés ici ? Entrez et restez chez moi, il ne vous arrivera rien." Elle les attrapa tous les deux par la main et les entraîna dans sa maison. Un bon repas y était dressé ; lait, crêpes avec du sucre, pommes et noisettes. Enfin un bon lit les attendait, tout drapé de blanc. Hansel et Gretel y plongèrent en rêvant qu’ils étaient au Ciel... La vieille s’était faite amicale, en fait, c’était une méchante sorcière qui avait tendu un piège aux enfants en construisant une maisonnette en pain, uniquement pour attirer les enfants. Une fois sous son pouvoir, elle les tuera, les cuira et les mangera comme pour un jour de fête. Les sorcières ont des yeux rouges et ne peuvent pas voir loin, mais elles ont un odorat très fin comme les animaux et ne remarquent pas quand un être humain approche. Lorsque Hansel et Gretel se sont approchés d’elle, elle avait souri méchamment et avait dit mielleusement : "Je les tiens, ils ne doivent pas m’échapper !" Le lendemain matin, à peine les enfants réveillés, elle se leva aussitôt, et tout en les regardant tranquillement avec leurs joues bien rouges, elle se murmura à elle-même : "Cela fera un bon déjeuner." Puis elle saisit Hansel de ses mains raides et l’enferma dans une pièce derrière une porte à barreaux. Il pouvait crier autant qu’il le voulait mais c’était inutile. Puis elle alla vers Gretel la réveilla en hurlant : "Debout, feignasse, va chercher de l’eau et fais cuire quelque chose de bon pour ton frère, il est assis dehors dans l’étable et doit prendre du poids. Quand il sera bien gras, je pourrai le manger." Gretel se mit à pleurer amèrement ; mais tout cela était inutile, elle devait faire ce que la méchante sorcière lui avait ordonné. La meilleure cuisine fut alors cuite pour Hansel, tandis que pour Gretel on ne servait que les carapaces d’écrevisses. Chaque matin, la vieille se pressait jusqu’à l’étable et criait : "Hansel, passe ta main par les barreaux que je vois si tu es bien gras." Hansel lui glissait alors un vieil os et la vieille qui n’y voyait presque plus, pensait que c’était la main de Hansel et s’étonnait de ce qu’il ne voulait pas engraisser. Quatre semaines passèrent, Hansel était toujours aussi maigre, la vieille à bout de patience et ne voulut plus attendre. "Gretel! allez ouste" appela-t-elle, "va chercher de l’eau ! Que Hansel soit gras ou qu’il soit maigre, demain je le tue et je le cuis." La pauvre Gretel pleurait toutes les larmes de son corps en allant chercher de l’eau, il fallait voir comment elles roulaient sur ses joues. "Mon Dieu, aide-nous donc !" supplia-t-elle, "si au moins les bêtes sauvages nous avaient dévorés, on serait mort ensemble !" "Épargne-nous tes sanglots" dit la vieille "ça ne sert à rien." Le lendemain matin, Gretel sortit remplir le seau, le suspendit dans la cheminée et alluma le feu. "Nous allons d’abord faire du pain" dit la vieille, "j’ai déjà chauffé le four et pétri la pâte." Elle poussa la pauvre Gretel vers le four duquel les flammes déjà sortaient. "Penche-toi et vois si c’est suffisamment chaud afin que nous puissions y enfourner le pain." Puis lorsque Gretel fut assez proche, elle voulut ouvrir le four pour la faire rôtir dedans et ensuite la dévorer. Mais Gretel devinant ses intentions dit : "Je ne sais pas comment faire pour entrer dedans !" "Oie stupide," dit la vieille, "la porte est assez grande, ne vois-tu pas que même moi je peux y passer" affirma-t-elle en rampant et en passant la tête dans le four. Alors Gretel lui donna un bon coup si bien qu’elle bascula dedans puis elle referma la porte en fer et tira le verrou. "Hou ! hou !" hurla-t-elle horriblement ; Gretel partit en courant tandis que l’horrible sorcière brûlait abominablement. Elle courut tout droit vers Jeannot, lui ouvrit l’étable et lui cria : "Hansel, nous sommes libres, la vieille sorcière est morte !" Hansel bondit comme un oiseau de sa cage lorsqu’on lui ouvre la porte. Comme ils se sont réjouis en tombant dans les bras l’un de l’autre et comme ils ont sauté de joie et se sont embrassés ! Ils se dirigèrent vers la maison de la sorcière puisqu’ils n’avaient plus à la craindre. Dans tous les recoins ils trouvèrent des perles et des pierres précieuses. "C’est bien plus beau que des cailloux" déclara Hansel en remplissant ses poches de ce qui pouvait bien y entrer. Puis Gretel dit : "Je veux aussi rapporter quelque chose à la maison" et elle remplit aussi son tablier." "Partons maintenant" ordonna Hansel, "sortons de cette forêt maléfique." Mais après deux heures de marche, ils arrivèrent près d’une rivière. "Nous ne pouvons pas traverser" affirma Hansel, "je ne vois ni passerelle ni pont." "Il ne passe aucun bateau non plus" renchérit Gretel mais je vois un canard blanc, si je le lui demande il nous aidera à traverser" et elle appela : "Canard, canard attentionné Hansel et Gretel n’ont ni passerelle, ni pont sur ton dos fais-nous passer." Le canard approcha et Hansel s’installa sur son dos et pria sa sœur de le rejoindre s’asseoir près de lui. "Non" répondit Gretel, "ce sera trop lourd pour le canard, il doit nous faire passer l’un après l’autre." Le bon volatile s’acquitta bravement de sa tâche. Lorsqu’ils furent passés et qu’ils eurent fait un bout de chemin, la forêt se fit de plus en plus familière et soudain, ils aperçurent la maison de leur père. Ils se mirent alors à courir, se précipitèrent à l’intérieur, et sautèrent au cou de leur père. Depuis qu’il avait abandonné ses enfants dans la forêt, l’homme n’avait plus eu de joie, sa femme était morte. Gretel secoua son tablier pour en faire tomber les perles et les gemmes qui se répandirent dans la cuisine, pendant que Hansel en jetait poignée après poignée de ses poches. Tous les soucis avaient enfin pris fin et ils purent vivre avec bonheur ensemble. L’histoire est finie, là court une souris, qui l’attrape doit s’en faire une grande cape fourrée. Les Frères Grimm, "Hansel et Gretel", Contes de l'enfance et du foyer, 1812.

Pourquoi y a-t-il des monstres dans les contes ?

Merci aux élèves qui ont participé au projet.

Collège Marguerite Berger

juin 2021