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Transcript

Elisabeth

Mon journal

22 août 1939Aujourd'hui c'est mon anniversaire.Maman m'a offert un joli carnet.Je vais essayer d'y écrire tous les jours.Pour raconter mes rêves et mes secrets.

Je ne comprends pas pourquoi les gens ont peur, ce n'est pas chez nous la guerre...J'ai même vu les commerçants de la rue Saint Nicolas commencer à entasser des sacs de sable contre les murs de la Cathédrale Notre-Dame. 1er octobre 1939J'ai fabriqué mon premier pantalon aujourd'hui.D'habitude en cours de couture nous apprenons à ourler les torchons mais maintenant nous devons participer à la guerre. Nous fabriquons des vêtements pour nos soldats.

3 septembre 1939 C'est la mobilisation générale !C'est la guerre. Papa et Toto ont été appelés à la guerre hier. Ils sont partis. Je m'inquiète pour eux et je ne sais pas quand je vais les revoir. Je prierai tous les jours pour qu'ils reviennnent vite à la maison, sains et saufs.3 septembre 1939 Aujourd'hui j'ai dû rentrer vite à la maison après les commissions à cause du couvre-feu. Il parait que bientôt on va nous distribuer des masques à gaz ! Comme ceux des soldats ! Le maire a peur qu'on reçoive des bombes ou du gaz.

5 novembre 1939 22h30Ce soir je suis encore en train d’écrire. Sans cela les journées ne passeraient pas très vite. Aujourd’hui c’était la messe. Nous avons fait une autre prière pour les soldats morts au combat, pour ceux qui se battent toujours pour la France, nos proches, nous espérons leur survie. Alors que l’on rentrait, j'ai fait un détour qui m’a fait respirer un tout petit peu et profiter de notre ville car rester tout le temps à la maison n’est pas trop agréable. J’ai pu observer Notre Dame de Rouen, notre bonne vieille cathédrale. Les sacs de sable s'entassent le long de ses murs...

1er novembre 1939 Ça fait deux mois que mon père et mon frère ont été mobilisés. Je souffre de leur absence. l'effroi qui parvient en moi m'immobilise. Sans eux ma vie n'est plus normale. J'espère qu'ils sont encore en vie. Je voudrais tellement qu'ils soient à côté de moi. Cependant je n'imagine pas la vie affreuse que doivent vivre les soldats, qui essayent de combattre l'ennemi.

A ma gentille Elisabeth,A ma dévouée épouse, Vous me manquez énormément, la guerre est affreuse et nous comptons plusieurs morts.Nous avons été un peu amochés mais on tient toujours debout.Vous savoir loin de tout cela me réchauffe le coeur.Portez-vous bien.

11 novembre 1939 Aujourd’hui c’est l’Armistice, nous célébrons la victoire de la Grande Guerre, nous rendons hommage aux morts et aux vivants. Nous étions joyeux mais nous gardons en nous que la guerre est toujours là. C’est aussi l’anniversaire de Toto, nous le célébrons malgré son absence. Nous avons également reçu la première lettre de la part de Papa.

20 janvier 1940 La vie n'a pas beaucoup changé ici. Mais maintenant il faut utiliser des tickets de rationnement pour faire les commissions car toutes les ressources sont réquisitionnées pour le front. Je ne peux plus étaler de confiture et tartiner du beurre sur mon pain le matin. On n'entend pas vraiment parler de cette guerre ici à Rouen. Quand est-ce que papa et Toto vont rentrer ? Quand est-ce que tout redeviendra normal ?

1er juin 1940 La famille Dubois est partie ! Mon amie Emilia a été obligée de suivre ses parents. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde s’affole et s’enfuit vers la Bretagne. Ils ont même laissé leur chat et leur lit derrière eux. Joris a dit que les allemands sont encore loin. Maman et mémé ont dit que nous ne partirions pas. Le vainqueur de Verdun a été rappelé au gouvernement il y a quelques jours. C’est un homme courageux qui a déjà combattu l’ennemi. Il va prendre les bonnes décisions pour la France, pour nous sortir de là et ramener Papa et Toto à la maison.

13 mai 1940 Je peux enfin écrire ! J'ai renversé mon encrier et maman ne voulait pas qu'on gaspille de l'encre pour mon carnet. J'ai même eu beaucoup de mal à trouver du ruban pour mes cheveux. Aujourd’hui j’ai essayé de discuter avec un hollandais ! Un garçon qui s’appelle Joris. C’est la première fois que j’entends quelqu’un qui ne parle pas la même langue que moi. Il y avait ses parents et sa petite sœur avec lui. J’ai compris qu’ils sont partis des Pays-Bas pour fuir les allemands. Tout à l’heure j’ai regardé sur la carte du monde au lycée, c’est loin les Pays-Bas. Ça veut dire que la guerre est encore éloignée de nous.

J'ai fini par descendre aussi dans la rue. Après un instant, sidérée, face aux colonnes de fumée noire qui envahissaient le ciel, l'horreur me submergea. Mes sens ont mis quelques minutes à comprendre ce qu'il se passait tant ils étaient submergés. C'est le bruit des bottes qui d'abord m'interpella. Ils descendaient la route de Neufchâtel sans nous regarder, victorieux dans notre ville, sous une cadence infernale qui restera gravée dans mes oreilles. Puis le vacarme, la cacophonie du défilé allemand qui se déroulait sous mes yeux. Les chars ont défoncé les pavés qui d'habitude reçoivent les marchands des plateaux nord. J'ai eu peur. Et autour de moi, le silence. Le silence de ceux qui comprennent qu'il est trop tard.

9 juin 1940 Je viens de vivre la plus terrible journée de ma vie. Ce matin, j'ai été réveillée par d'énormes bruits. Pendant un instant, un court instant, j'ai pensé à une seule chose, la mort. Quelques minutes après, vers 9h, madame Roussel, la voisine du 5ème est entrée en furie chez nous. Elle est venue nous avertir que les allemands étaient à Isneauville. Isneauville ! Aux portes de Rouen ! Je sais maintenant que notre vie ne sera plus jamais la même.Pendant que maman et madame Roussel se demandaient ce qu'il fallait faire, monsieur Laurent a descendu les escaliers en courant pour nous avertir que les entrepôts pétroliers de la rive gauche avaient été incendiées ! Les allemands sont presque là mais ils n'auront pas notre pétrole !

L'enfer a continué, les incendies vers la cathédrale ont commencé. Je commençais vraiment à croire que mon existence allait se finir. Pour fuir la fumée toxique, je suis remontée vers l’hôtel de ville par la rue de la République et me mettre à l'abri à la maison. A l'abri... Si c'est encore possible. Je finirai ce récit demain. Je suis épuisée, mes oreilles bourdonnent encore de l'horreur qu'elles ont vécue aujourd'hui.

J'ai décidé, pour je ne sais quelle raison, de suivre cette file. Tous ces bruits étaient assourdissants et emplissaient tous les recoins de mon corps. J'ai peiné à marcher droit, mes jambes tremblaient, le sol tremblait ! Vers 10h15 à l'horloge du Palais de Justice j'ai encore entendu des détonations ! Elles venaient de la Seine ! Des gens couraient pour remonter la rue Jeanne D'Arc : les ponts sont détruits ! Si les allemands sont rive droite, que nous aussi et que les ponts sont à l'eau, alors nous sommes prisonniers ! Qui a fait tomber les ponts ? Ceux de la rive gauche ? Ils nous sacrifient pour ralentir les allemands ?

Je crois que ce sont les hommes qui viennent des pays encore sauvages dont mon professeur de géographie a parlé. Ils sont venus se battre pour la France car nous les avons civilisés.Ces hommes ont l'air étranges. Les allemands étaient en train de les faire prisonniers mais personne ne paniquait. Je crois qu'ils étaient dans le même état que moi, complètement perdus. Certains n'avaient plus de veste, et toutes les armes avaient été confisquées. Quand la charrette a pris la route pour remonter la rue Louis Ricard, je l'ai suivie. Nous sommes passés devant la fontaine Sainte-Marie puis le boulevard. Quelques mètres après, le véhicule s'est engagé dans la rue de Bihorel. J'avais les jambes en compote. J'allais dévier de leur chemin pour retourner à la maison en passant devant l'église où nous allons tous les dimanches mais la charrette à passé une enceinte

10 juin 1940 3 heures Il fait encore nuit. Impossible de dormir. La fumée s'infiltre partout, Rouen brûle toujours, c'est insupportable. En remontant à la maison tout à l'heure, abasourdie et hébétée, je suis arrivée au niveau de l'Hôtel de Ville. Des mots ont attiré mon attention, ils semblaient étrangers. Que disaient-ils ? « CHNELLE » ? « CHMOUZ » ? J'ai vite compris que c'était de l'allemand. J'ai voulu m'approcher pour comprendre à qui ils s'adressaient de manière si violente. Ils étaient en train de donner l'ordre à des soldats de monter dans une charrette. Je ne comprends pas, les uniformes de ces soldats ressemblaient à ceux des français mais ils n'étaient pas du côté allemands. Ils sont noirs.

J'ai vite compris : je venais d'entendre une salve de coups de fusil.Je ne parle pas du sifflement du plomb tiré par papa à la chasse. Je ne parle pas du claquement du martinet sur ma peau quand maman me réprimande. Je ne parle pas du pneu de la voiture du maraîcher qui explose parfois quand il charge trop de patates. Ce son restera gravé dans ma mémoire et dans mon corps à vie. Il restera gravé aussi profondément que les hurlements qui ont suivi. Des râles de souffrance pure, les ultimes sons avant de mourir. J'ai vite compris : ce sont les hommes de la charrette qui ont été fusillés. Ils ont été tués. Ils ont été assassinés. J'ai...

de pierre et s'est enfoui dans ce qui ressemblait à une grande cour vide.Je n'ai pas réussi à distinguer ce qu'il y avait à l'intérieur. Puis les portes se sont refermées et je me suis retrouvée nez à nez avec mes incertitudes et mon besoin de savoir ce qui allait arriver à ces hommes. J'étais étrangement intriguée par le sort de ces soldats à la couleur de peau que je n'avais jamais vue. Après quelques minutes à entendre ce qui ressemblaient à des ordres prononcés en allemand, le silence se fit.Après un ultime ordre, le vacarme commença. Je me suis pétrifiée.

12 juin 1940 La ville ne brûle plus.Elle ne nous appartient plus.Rouen n'existe plus.

10 juin 1940 10 heures Rouen est tombée.... Ca y est ils sont partout... Mais quand je ferme les yeux c'est horrible, je revois la peur dans le regard des hommes de la charrette, j'entends le bruit des balles, les cris.... J'ai eu besoin d'aller voir, mais les portes sont closes ce matin...

Il m'a proposé de marcher un peu pour ne pas rester ici. Je l'ai suivi et après quelques minutes silencieuses, je n'ai su que lui dire « Mais pourquoi ? » Avec sa voix douce, il m'a parlé d'Hitler. J'ai compris qu'il n'aime pas les gens qu'il ne juge pas purs. Il n'aime pas les Juifs, les noirs et a même fait des lois contre eux, ouvert des camps pour les mettre dedans ou autorise des expériences sur eux.Il a continué en m'expliquant que la haine contre les soldats noirs datent d'avant mais que les chefs allemands ont remis au goût du jour les rumeurs qui disaient que les soldats Noirs de la Grande Guerre coupaient les oreilles des soldats ennemis attrapés, mais aussi celles qui disaient que les Noirs de l'armée française qui sont allés en Allemagne ont enlevé, violé des femmes....

14 juin midi Je n'ai pas pu m'empêcher, j'ai dû aller voir de nouveau... Ce matin la porte était entrouverte, j'ai regardé autour de moi, personne... En tremblant je me suis approchée, mais une main s'est posée sur mon épaule. J'ai cru que c'était un boche.. Je me suis mise à trembler de tout mon corps. Quand je me suis retournée, j'ai éclaté en sanglots.... Quel soulagement, un homme de Dieu ! Je me suis mise alors à parler de la charrette, de l'attitude impassible des boches, des balles, des cris.... comme si j'étais à confesse. Son regard s'est posé sur moi. J'y ai vu l'effroi, il ne m'a pas dit mais je sais qu'il sait, qu'il a vu, j'en suis sûre.

18hJ’ai entendu la radio depuis la cage d’escalier en rentrant chez maman ! Les allemands sont à Paris ! Ça y est ! Nous sommes perdus.

En rentrant à la maison, j'ai compris.... C'est la haine contre les noirs, les idées d'Hitler qui poussent les Boches à avoir peur, qui ont poussé les Boches qui sont arrivés à Rouen à commettre cette horreur.

Sont-ils arrivés, pacifiques, à Rouen, il y a quelques jours ? Ont-ils sereinement fait taire les soldats qui ont quitté leurs terres pour nous ? Je ne comprends pas. JE NE COMPRENDS PAS !Mes larmes coulent, mon cœur s’emballe, mes mains tremblent. De colère ! COLERE !

17 juin 1940Je ne comprends pas.Un vainqueur ? Un sauveur ? Quand Mme Roussel a hurlé mon prénom dans la cour j’ai compris qu’il se passait quelque chose d’important. Quand il a prononcé ces mots « C’est le cœur serré...», alors j’ai compris que c’était la fin pour nous…Mes larmes ont coulé, mon cœur s’est emballé, mes mains ont tremblé, et c’est avec beaucoup de difficulté que j’ai retenu mes sanglots. « ...que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. »Je ne comprends pas. Pourquoi cesser de se battre ? Pourquoi les laisser s’emparer de la France ? « les moyens de mettre un terme aux hostilités »

De l’espoir !Nous ne sommes pas seuls.Je ne suis pas seule !

18 juin 1940 Je ne suis pas seule à ne pas comprendre ! Tout à l’heure chez le cordonnier j’ai entendu un son de radio. C’était étrange car le son paraissait lointain, étouffé. En suivant les grésillements, j’ai trouvé M. Morin dans l’arrière-cuisine avec le proviseur du lycée penché sur une radio encastrée dans le mur. J’ai, pour la première fois depuis des jours, entendu des mots qui m’ont donné espoir.

Le 22 juin 1940 Je refuse que l’on massacre ceux qui se sacrifient pour la France parce qu’ils sont noirs. Je refuse de subir. Je refuse cette France. J’aime ma France. Je ne peux pas l’imaginer aux mains de cet ennemi. Faire quelque chose. Il faut faire quelque chose. Il faut que JE fasse quelque chose.

18 juin 1940 23 heures J’ai un secret. Chut. M. Morin m’a vue en train de l’écouter sa radio cachée. Il a dit que c’était très dangereux et que je ne devais le dire à personne sinon lui et sa femme et même moi pourrions être tués ! J’ai juré sur la tête de papa que jamais je n’en parlerai. Je l’ai supplié de me laisser revenir tous les jours pour écouter si le monsieur depuis Londres allait encore parler. Je lui ai promis de l’aider à cirer les souliers et à nettoyer le magasin s’il me laissait l’écouter avec lui. Après réflexion, cette proposition s’est transformée en marché. J’ai dit à maman que je me portais volontaire pour aider ce vieux cordonnier. Chut. C’est mon secret.

epilogue

Alors que notre héroïne fictive, Elisabeth, signe son premier acte de résistance en s’engageant à garder le contact avec les paroles de De Gaulle, dans la sinistre réalité de 1940 les individus prennent des risques pour contrer l’envahisseur. Ainsi, le 20 juin 1940, Etienne Achavanne se rend à la base d’aviation de Boos près de Rouen. Il décide de détruire les lignes téléphoniques de la ville afin de couper tous les modes de communication des allemands. Cet acte héroïque a permis aux anglais de bombarder la base et de détruire de nombreux avions de la Luftwaffe. Malheureusement, Etienne a été dénoncé puis condamné selon la loi allemand qui s’appliquait dorénavant sur le sol français. Il a été fusillé le 4 juillet 1940. De nos jours, ce sabotage audacieux et symbolique est considéré comme une des premières traces de résistance isolée de l’Armée de l’Ombre.