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EDS Musique Première

LA MUSIQUE,
UN ART DU TEMPS

COMPETENCES TRAVAILLEES : Développer l'écoute analytique Enrichir sa connaissance du langage rythmique

PROBLEMATIQUE : Comment un compositeur organise t-il le temps musical ? Comment évolue le langage rythmique du XIVème siècle à aujourd'hui ?

La musique est un art du temps « dans la catégorie du sonore ». Un temps bien particulier, pas celui du chronomètre ou de la montre : c’est le temps musical. Par l’écoute, nous coïncidons avec lui et nous perdons la notion du temps ordinaire... Le temps musical se définit par le langage rythmique de l'œuvre (tempo, rythmes, mesures, régularité, irrégularité…). Le déroulement de l’oeuvre dans le temps s’organise par la forme, la structure du morceau (ce sera une prochaine thématique).

PROJET MUSICAL

I/ Le temps musical : rappel des notions importantes

  • Pulsation : répétition régulière d’un battement. En 1816 : invention du métronome par Maëlzel, un ami de Beethoven
  • Mesure : organisation des durées, regroupement des temps, avec des temps forts et des temps faibles. Mesures simples ou composées, mesures asymétriques
  • Rythme : c'est la durée des sons
  • Tempo : vitesse des pulsations. Globalement : lent, modéré et vif
  • Temps strié : rythme accentué, dans une mesure claire, le tempo est repérable
  • Temps lisse : rythme très libre, non mesuré, pas de rythme ni de tempo repérables.
  • Variations de tempo : ralentis et accélérations voulus par le compositeur. Il existe aussi le rubato de l’interprète. Dans ces deux cas : fluctuations du tempo

II/ Une évolution du langage rythmique dans l’histoire

A/ La Messe Nostre Dame / Guillaume de Machaut / 1360 Kyrie sur la mélodie grégorienne Cunctipotens genitor

L’absence de notation rythmique n’était pas un problème avec la monodie : le chant grégorien était chanté à l'unisson, c'est une seule mélodie avec un rythme régulier, des respirations en fin de phrase…) . Mais avec la polyphonie, plusieurs différentes mélodies étaient chantées en même temps, il était donc important de définir des repères temporels : c’est la notation isorythmique, basée sur la répétition régulière d’un motif rythmique. Les compositeurs s’appuient toujours sur les mélodies du chant grégorien pour composer de nouvelles pièces. Ils adaptent une cellule rythmique, une talea, sur la mélodie grégorienne, la color. L'ensemble se répète en boucle. Sur ce résultat, le compositeur écrit 3 autres voix. Cette partie isorythmique qui « tient » la polyphonie, pilier d’un ensemble à plusieurs voix, s’appelle la teneur, ou ténor...

Étape 2 : choix d’une talea (ici, en notation moderne, ronde pointée, blanche, ronde, ronde pointée, silence)

Notation moderne

Notation neumatique

Étape 1 : choix du chant grégorien ( choisi pour ses qualités mélodique mais aussi parfois pour sa portée symbolique)

La composition polyphonique au moyen-âge se fait toujours à partir d’un chant grégorien ("cantus firmus"). Voici les différentes étapes de création :

La mélodie isorythmiquqe ainsi obtenue, placée à la voix de ténor, devient la base d’une composition à 2, 3 ou 4 voix qui seront, cette fois-ci, entièrement créées par le compositeur.

Etape 4 : Composition des autres voix

Dans ce cas, la mélodie fait 28 notes, la talea est de 4 notes, il faudra donc répéter l’ensemble 7 fois.

Étape 3 : adaptation de l’écriture de la mélodie, la color, en suivant le rythme de la talea (répétée autant qu’il le faut)

Le nom de la rose / Jean-Jacques Annaud

Extrait de Le Nom de la rose d'Umberto Eco, 1983

" Lorsque l'office toucha à sa fin, l'Abbé rappella aux moines et aux novices qu'il fallait se préparer à la grande messe de Noël et que pour ce faire, selon la coutume, on emploierait le temps précédant laudes à vérifier l'homogénéité de la communauté toute entière dans l'exécution de certains des chants prévus pour cette solennité. Cette troupe d'hommes dévots était en effet harmonisée comme un seul corps et une seule voix, et par un long cortège d'années se reconnaissait unie, comme une seule âme, dans le chant. L'Abbé invita à entonner le Sederunt. Et en vérité, à peine entonné le chant donna une grande impression de puissance. Sur la première syllabe sé débuta un choeur lent et solennel de dizaines et de dizaines de voix, dont la tonalité basse emplit les nefs et flotta au dessus de nos têtes, quand elle semblait pourtant surgir du coeur de la terre. Et elle ne s'interrompit pas, car, tandis que d'autres voix commençaient à tisser, sur cette ligne profonde et continue, une série de vocalises et de mélismes, elle - tellurique- ne cessait de dominer et n'eut point de trêve pendant tout le temps qu'il faut à un récitant à la voix cadencée et lente pour répéter douze fois l'Ave Maria. Et comme libérées de toute crainte, en raison de la confiance que cette syllabe obstinée, allégorie de la durée éternelle, donnait aux orants, les autres voix (pour la plupart celles des novices) sur cette base pierreuse et solide, élevaient des flèches, des colonnes, des pinacles de neumes liquescents et pointés. Et tandis que mon coeur s'étourdissait de douceur à la vibration d'un climacus ou d'un porrectus, d'un torculus ou d'un salicus, ces voix paraissaient me dire que l'âme (celle des orants et la mienne, moi qui les écoutais), ne pouvant soutenir l'exubérance du sentiment, à travers eux se déchirait pour exprimer la joie, la douleur, la louange, l'amour, dans un élan de sonorités suaves. (...) Maintenant le choeur entonnait joyeusement l'adjuva me, dont le a clair se répandait gaiement à travers l'église, et le u même n'apparaissait pas sombre comme celui de sederunt. Les moines et les novices chantaient comme le veut la règle du chant, le corps droit, la gorge libre, la tête tournée vers le haut, l'antiphonaire presque au niveau des épaules de façon qu'on y puisse lire sans que, en baissant le chef, l'air sorte avec une moindre énergie de la poitrine. Mais l'heure était encore nocturne et, bien que retentissent les trompettes de la jubilation, le brouillard du sommeil tombait comme une embûche sur bon nombre de chantres qui, égarés peut-être dans l'émission d'une longue note, confiants dans l'onde même du cantique, parfois inclinaient la tête, tentés par la somnolence. Alors les circateurs, même en cette occurence, exploraient leurs visages avec la lanterne, un par un, pour les ramener justement à la veille, du corps et de l'âme. "

B/ Franz SCHUBERT / 1824-1826 / Second mouvement du Quatuor à cordes La jeune fille et la mort

Franz SCHUBERT / 1824-1826 / Second mouvement du Quatuor à cordes La jeune fille et la mort

Le thème principal de ce mouvement de quatuor à cordes a déjà été composé par Schubert dans un lied (chanson allemande accompagnée d'un piano) en 1817. Cette mélodie, à l’ambitus très restreint, est une autocitation lourde de sens, alors que Schubert est gravement malade.

Ecoute analytique avec suivi de partition : compléter le tableau

Quelques remarques suite à l'écoute

  • Tempo Andante con moto dans ce second mouvement. C'est le mouvement lent d'un quatuor à cordes qui en compte 4 au total.
  • Au départ, le thème est écrit en homorythmie : une écriture verticale sur la cellule rythmique ___ u u. Puis, celle-ci sera diminuée et augmentée, apparaissant sous différentes formes et passant aux quatre instruments. On note l'égale importance de chaque instrument.
  • La cellule rythmique de la mort est omniprésente dans toute l’œuvre.
  • De la mesure simple 2/2 vers un mélange ternaire/binaire dans la première variation. Le thème est constamment varié sur le plan rythmique.
  • Présence de valeurs rythmiques régulières (croches ternaires par ex) : les batteries de croches traitées en ostinato.
  • Une forme thème et variations : 5 variations enchaînées présentant une diminution rythmique : sentiment de précipitation (mais ce n’est pas à proprement parlé une accélération) avec un retour au rythme initial par augmentation dans le finale.

C/ Le Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen / 1941 :

Mode à transposition limitée inventé par Messiaen

Mode à transposition limitée inventé par Messiaen

Gamme par tons inventée par Debussy

  • Dans la musique d'Olivier Messiaen, la religion catholique, les oiseaux et l’orgue sont indissociables. Olivier Messiaen était un grand organiste, très mystique et ornithologue. Sa connaissance des oiseaux du monde entier était impréssionante.
  • Il était atteint de synesthésie, une « maladie » qui confond les sens : un son se mélange à une couleur. Par exemple, il associait l'accord de la majeur à la couleur bleue.
  • Il se crée un nouveau langage musical, avec une modalité inventée : il crée les modes à transposition limitée, avec comme base, la gamme par tons inventée par Debussy.

L'oeuvre fût jouée pour la première fois devant 5000 prisonniers : « Jamais je n’ai été écouté avec autant d’attention et de compréhension. Le froid était atroce, le stalag enseveli sous la neige. Les quatre instrumentistes jouaient sur des instruments cassés : le violoncelle n’avait que 3 cordes, les touches de mon piano droit s’abaissaient et ne se relevaient plus. Nos costumes étaient invraisemblables : on m’avait affublé d’une veste verte complètement déchirée, et je portais des sabots de bois ».

Créée en Silésie, dans un camp de prisonniers durant la seconde guerre mondiale, en 1940/1941, cette œuvre est une réflexion sur le temps, une transposition musicale de la phrase : « il n’y aura plus de temps » extraite de l’Apocalypse selon Saint Jean du Nouveau Testament: « Je vis un ange plein de force, descendant du ciel, revêtu d’une nuée, ayant un arc-en-ciel sur la tête. Son visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu. Il posa son pied droit sur la mer et son pied gauche sur la terre, il leva la main vers le Ciel et jura par Celui qui vit dans les siècles, disant : « il n’y aura plus de temps » ».

L'oeuvre est composée pour une formation instrumentale rare, imposée par les musiciens à disposition, dans le camp de prisonnier : une clarinette / un violon / un violoncelle / un piano. Messiaen ne suit aucun schéma traditionnel : cette musique de chambre est en 8 mouvements. Dans le premier mouvement, Liturgie de cristal, on perçoit une instabilité rythmique. Il n'y a plus de temps forts. Messiaen s'est inspiré de Guillaume de Machaut et sa Messe Nostre Dame : il emploie la technique de l'isorythmie. Aussi, le violon imite un chant d'oiseau...

La valeur ajoutée est placée comme sur un axe symétrique : c'est un rythme non rétrogradable (si il est lu à l'envers, on obtient le même rythme)

Valeur ajoutée

  • Il n'y a pas d'indication de mesure : les barres sont de simples points de repère pour les interprètes
  • Il y a des croches isolées provoquant un sursaut de la pulsation, une instabilité : c'est les valeurs ajoutées
  • La valeur ajoutée se place très souvent comme un axe de symétrie : c'est un rythme non rétrogradable

Dans la Danse de la fureur pour les 7 trompettes, on remarque un unisson : chaque partie a la même note, il n'y a plus d’harmonie. C'est une monodie. Ainsi, notre attention se focalise sur le rythme.

Ainsi Olivier Messiaen crée un nouveau langage, s’affranchissant de la tradition, des notions académiques de mesures, temps forts/temps faibles, régularité… Ses innovations rythmiques sont : 1. Rythme en valeur ajoutée : s’affranchir du temps régulier, perte des repères, de la pulse, sensation de déphasage 2. Rythme non rétrogradable

Louange à l'éternité de JésusAudition comparée d'une interprétation fidèle et d'un arrangement