Want to make creations as awesome as this one?

Transcript

Des découvertes pour s'évader un peu

Les bibliothèques tueusesPar Sandrine TolottiC’était à n’y rien comprendre. La naissance s’était passée à merveille, à une époque où cela n’allait pas de soi. Mère et enfant se portaient comme un charme jusqu’à ce que soudain, au bout de dix jours, le bébé ne tombe malade et meure en 48 heures, avec de l’otite et des abcès cutanés ; sa mère le suivit de près. Le docteur Max Bensinger, de Mannheim, chercha la source de l’étrange infection – puisque rien, dans les soins prodigués à la parturiente, ne pouvait à ses yeux l’expliquer – et ne tarda pas à identifier le coupable : un livre ! Le romancier et bibliothécaire Albert Cim raconte le cas, en 1908, dans son Petit Manuel de l’amateur de livre : Un livre, provenant d’un cabinet de lecture, était caché dans le lit. Ce livre, une amie l’avait apporté à la malade, qui avait pris l’habitude de le lire pendant qu’elle allaitait son enfant. C’était un de ces vieux livres comme on en trouve dans tous les cabinets de lecture de rang inférieur : taché, crasseux, graisseux, ayant beaucoup circulé, ayant été beaucoup lu et ayant beaucoup ramassé de malpropretés. M. Bensinger examina ce livre avec soin ; il en gratta la couverture et quelques pages, et examina les débris qu’il avait ainsi recueillis. Il y trouva des microbes en abondance, et particulièrement un grand nombre de streptocoques. Il put donc être presque assuré que sa malade avait été infectée par les microbes que renfermait ce livre, qui était un agent de contamination des plus dangereux. C'était un temps où, comme dans Le Nom de la rose mais pour d'autres raisons, la lecture avait une réputation sulfureuse. Alors qu'une épidémie chasse l’autre (choléra, rougeole, scarlatine, diphtérie, variole, tuberculose…), beaucoup sont persuadés que tourner les pages peut provoquer des maladies graves. Dans le sillage de Louis Pasteur, la science commence à révéler l’origine des infections. Et le livre, lui, commence à se prêter comme des petits pains : à Paris, 30 000 ouvrages l’étaient en 1878 ; deux millions le seront en 1901. La médecine s’interroge sur le rapport entre les unes et les autres, c'est normal. L'imaginaire social fait le reste. Ces ouvrages qui passent entre des mains inconnues, dans des foyers dont on ne sait rien, ne porteraient-ils par les maladies aussi sûrement que le savoir et la littérature ? Les scientifiques multiplient les expériences. Leurs résultats sont contradictoires. Beaucoup retiennent donc les plus pessimistes. Dans l’ombre du doute, la rumeur court et la peur cavale. Calice Sacro est une image issue d'une des séries consacrées par la photographe Susannah Hays (dont on peut découvrir le travail magnifique sur son site) aux livres et manuscrits médiévaux (Biblioteca Castiglion Florentino). La phobie commence à ChicagoIl est souvent difficile de dater une panique collective, mais la trace la plus ancienne qui soit conservée de celle-ci remonte à 1879, quand la question des livres contagieux est explicitement posée en réunion de direction à la bibliothèque de Chicago. Bien en peine de répondre, le bibliothécaire concerné, William Poole (pour les anglophones intéressés, l’article pionnier sur le sujet est ici) mène son enquête et consulte à la fois des collègues et des sommités médicales. Les dix-neuf réponses sont rassurantes : s'il ne peut être totalement exclu, le risque est infime, bien plus infime que le fait de fréquenter la rue, les transports ou les réunions publiques. Certains ironisent même, comme ce professeur de médecine qui préconise l’embauche de 15 000 officiers de police sanitaire pour empêcher l’accès aux maisons infectées, suggère d’emmener les enfants à l’école dans une cage de verre et de stériliser tout le courrier (le plaisantin ignorait sans doute qu’il l’avait été pendant des siècles)…Mais les épidémies inquiètent trop : à New York, en 1957, le taux de mortalité est de 36.8 ‰ (contre 8 à 9 en France aujourd’hui d'ordinaire). Les sociétés occidentales de la fin du XIXe siècle sont obsédées par l’hygiène. Et il est vrai qu’on trouve quantité de germes entre les pages des livres, puisqu’on en trouve partout ! Or les nouvelles bibliothèques publiques, soupçonnées d'offrir un accès aux pensées « obscènes » et « subversives », n'ont pas que des amis.Les réponses de bon sens reçues par William Poole ne feront pas le poids. D’autant que de nouvelles expériences, plus ou moins farfelues, relanceront le débat année après année ; il serait fastidieux de les citer toutes, mais la palme revient certainement à un certain William Reinick qui, dans une revue de pharmacie, jugera même possible de contracter de la sorte un cancer, en plus de mille autres maux. La confusion entretenue dans les esprits fait alors perdre de vue cette réalité toute bête : aucun foyer épidémique n’a jamais été détecté dans une bibliothèque. Les livres pestiférésAu début du XXe siècle, à Paris, l’avis suivant est donc placardé dans chaque établissement :Le service central des bibliothèques a l'honneur d'informer Messieurs les emprunteurs que, dans le but d'éviter la transmission possible des maladies contagieuses par les livres prêtés, il s'est entendu avec le service d'assainissement pour que tout volume suspect fût immédiatement retiré de la circulation et désinfecté. Il prie instamment Messieurs les emprunteurs, dans leur intérêt personnel comme dans l'intérêt général du public, de vouloir bien, en rendant leurs livres, déclarer si quelque membre de leur famille est atteint de maladie contagieuse. Cela étant, la frayeur semble rester relativement contenue sur le continent européen.Il en va tout autrement en Angleterre et aux Etats-Unis, où ce que les bibliothécaires appelleront la « grande peur des livres » prend des proportions hallucinantes, rappelées récemment par Annika Mann dans Reading Contagion et cet article du Smithsonian Magazine (en anglais). On ne se contente pas de désinfecter les livres de toutes les manières possibles (chaleur, humidité, fumigation…), souvent dévastatrices. Un système de repérage des malades est mis en place entre les autorités sanitaires et de nombreuses bibliothèques : les personnes contaminées ne peuvent emprunter un livre ; si elles en ont à rendre, il faut le(s) donner aux autorités sanitaires qui en disposent à leur guise, et souvent les brûlent. A partir de 1907 au Royaume-Uni, les emprunteurs qui ne respecteraient pas ces consignes sont soumis à une amende de 40 shillings (environ 170 euros).La revue des bibliothécaires britanniques, Library, est le fer de lance de la bataille contre la peur ; son rédacteur en chef va jusqu’à organiser une expérience scientifique qui consiste à servir du lait sur des livres contaminés à des singes, qui tous continuent de se porter à merveille. Mais au bout du bout, elle aussi finira par rendre les armes et recommander la destruction des ouvrages en possession de malades. Pour sauver ces institutions essentielles qu’étaient les bibliothèques, il fallait consentir à brûler des livres. La machine à désinfecter automatiquement les livres de Camille Reduron a reçu le premier prix au concours des innovations de la foire de Paris de 1934. « Les livres, placés à l’intérieur, sur des plaques tournantes, sont feuilletés et désinfectés par une lame de gaz bactéricide d’aldéhyde formique agissant en circuit fermé et n’altérant pas les ouvrages traités », promet l’inventeur. Et la psychose cessa, faute d'épidémie... La « grande peur des livres » mourra peu à peu de sa belle mort dans les années 1910-1920, à mesure que les médecins rappelleront, de plus en plus nombreux, que le risque est infinitésimal. Et puis, force est de constater que les bibliothécaires et leurs lecteurs ne sont pas plus malades que les autres. Certains commencent à demander, aussi, pourquoi un livre serait plus dangereux qu’un billet de banque. Bref, la raison revient. Surtout, la science progresse, les grandes épidémies disparaissent. Et avec elles, la panique.Mais une peur collective ne dort jamais que d’un œil. Longtemps, l’angoisse donnera du grain à moudre aux ennemis des livres et aux industriels imaginatifs. Témoin la machine à désinfecter les livres de Camille Reduron, une sorte de tourniquet présenté lors de l'Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie Moderne qui se tient en 1937 à Paris et adopté par certaines bibliothèques. Dans les années 1940 et 1950, le débat médical n’est toujours pas totalement clôt. Jusqu’à ce que le BCG devienne obligatoire, il restera des traces dans l’imagination populaire du risque tuberculeux représenté par les livres.Et il aura suffi qu’une nouvelle maladie surgisse, l’an dernier, pour ressusciter un peu de cette peur. Dans l’incertitude, alors que l’on pensait encore importante la contamination par les surfaces (ce n’est plus le cas), les conseils en désinfection de livres se sont multipliés sur l’Internet au moment de la réouverture des bibliothèques après le premier confinement ; lesquelles ont souvent placé les ouvrages en « quarantaine ». Un établissement du Michigan a même dû publier un communiqué pour demander à ses emprunteurs de ne pas passer les livres au four à micro-ondes. Aujourd’hui comme hier, et jusqu’à plus ample informé, seul le virus de la lecture est transmis par les bibliothèques et les librairies.Ce texte est tiré de la Newsletter de L'intimiste du 25/04/2021.https://us19.campaign-archive.com/?u=2d7b6521c087283de9ef2ebd1&id=906c2e93fe Il était une fois les bibliothèques tueuses...Entre les années 1880 et 1920, la "grande peur des livres" a régné en Angleterre et aux Etats-Unis. Et envoyé au bûcher les volumes soupçonnés d'être...Campaign-archive

Nos découvertes pour s'évader un peu...

Mes petites découvertes pour Noël