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Transcript

En 1555, l'éditeur Jean de Tournes publie à Lyon les Sonnets de Louise Labé.En 2018, les lycéen.nes i-voix en découvrent à Brest le manuscrit original. Les variantes sont particulièrement intéressantes : aucun des vers inconnus qui y figurent ne comprend la lettre E. Révélation : comme le démontrent ces décasyllabes lipogrammatiques, Louise Labé doit bel et bien être considérée comme la fondatrice de l'OuLiPo !Voici par exemple, retranscrits et annotés par Eléa et Suzon, les vers sans E originaux du célèbre sonnet 18.

Ici, on peut voir que Louison Lab utilise le verbe “ bisouir ”, verbe qui n’est aujourd’hui plus utilisé, tout comme le verbe “ étranger” de nos jours, disparu. On peut aussi remarquer que son premier vers est plein d’injonctions, ce qui montre son impatience à retrouver son amant, ses bisous et ses caresses.

La présence du « Joins moi » (ici noté deux fois) insiste sur le fait qu’elle souhaite être rejointe par l'homme qu’elle aime, mais c’est également une façon de continuer à lui donner des ordres. Ainsi, Louison Lab, une femme, semble dominer la relation qu’elle entretient, ce qui pour l’époque est plus que révolutionnaire.

Le mot « bijou » dans le dernier vers renvoie également au fait qu’elle chérit son amant comme un bijou, une pierre précieuse, une chose de très grande valeur. Le bijou connote une texture qui rappellerait la peau de l’homme, lisse ou au contraire avec quelques aspérités mais qui font son charme. Tandis que dans la version sans contraintes le terme « braise » dénote la passion de Louise Labé. Peut-être fut-elle écrite à un moment où elle était en grand manque d’amour ?

Le mot « quattro » dans le lipogramme démontre l'influence de la langue italienne à la Renaissance. Dans sa seconde version, on peut voir que Louison Lab l’a remplacé par le même mot mais cette fois-ci en français : “quatre”. Ce qui nous amène à dire que cet usage de l’italien n’était pas fortuit mais bien fait exprès dans l’optique de coller à sa contrainte d’écrire sans « e ». Nous pourrions nous demander : « Pourquoi n’a-t-elle tout bonnement pas changé de chiffre? » Cependant, la réponse est très simple : le chiffre quatre renvoie tout simplement au nombre de vers du quatrain.

Comme on le voit ici, par-delà les contraintes du sonnet et du lipogramme, la Belle Cordière aurait sans nul doute apprécié celles du tweet. Elle aurait aussi aimé le lyrisme du langage émoticône...

On observe également, une grande présence du « tu » dans les deux versions - plus ou moins explicite - ce qui démontre que l’aimé de Louison Lab est constamment dans son esprit. Cela est d’autant plus visible dans le lipogramme : « à toi » qui est placé au début du vers 4 mais surtout en fin des vers 2 et 3. Cette épiphore accentue la présence de l’être adoré, et appuie sur le fait que non seulement elle veut des baisers mais surtout des baisers venant de lui. Cette façon dont Louison Lab exprime ses propres sentiments, ses désirs de femme, dans ces quelques vers, expose au monde combien elle était en avance sur son temps.

Les mots « savoureux » et « gourmands » expriment tous les deux le fait que selon la poétesse, son amant est délicieux. Ces 2 mots font appel à notre goût, ce qui fait que chacun peut à loisir, s’imaginer un met qu’il affectionne tout particulièrement. De plus, dans chacune de ses versions, elle associe ces mots à d'autres : « amoureux » et « galant » qui, ainsi transmettent l’idée que les deux mots ne vont pas l’un sans l’autre : c’est comme si Louison Lab nous donnait une définition de l’Amour avec un grand A.