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Quelle Orientation thématique ?

L’identité de la chaîne et le discours en creux de sa programmation inscrivent donc bien le Petit Journal de Yann Barthès dans le cadre ludique d’une émission décalée sur l’actualité. Ce discours est d’ailleurs repris dans la presse spécialisée (Télérama, TVmag…) qui signale l’émission comme un "divertissement" dans ses programmes TV. Cependant, le discours de la chaîne et celui de l’émission, notamment son générique, orientent de plus en plus le programme vers le genre authentique.

C’est d’abord le populisme de l’émission, qui peut pousser jusqu’au « bidonnage », que dénoncent les journalistes. Les critiques reconnaissent les « bons coups » du programme : « Leurs faits d'arme ? Nicolas Sarkozy pris en flagrant délit d'autoplagiat, en prononçant à quelques mois d'intervalle le même discours. Martine Aubry incapable de citer une chanson du rappeur Kool Shen, après avoir juré l'adorer. L'UMP brocardé pour avoir utilisé des images tournées aux Etats-Unis dans un clip de campagne censé se dérouler en France »[1] . Toutefois, la recherche du buzz entraîne parfois, selon ces professionnels, le Petit Journal sur la voie du mauvais journalisme, celui qui « sacrifie le respect des faits(…) sur l'autel du bon mot »2. Les « bidonnages » du P.J. sont ainsi scrutés à la loupe dans un dossier spécial du site Arrêt sur image[2]. Une émission d’ASI revient aussi sur les conflits récurrents entre les journalistes de l’émission et plusieurs personnalités politiques : Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Marc Ayrault… Au-delà de la mise en exergue des erreurs déontologiques et journalistiques, c’est plus fréquemment la dimension superficielle et consensuelle de l’émission qui est visée par ces discours paratextuels. Les journalistes dénoncent dans l’ensemble l’incompatibilité des finalités ludiques et authentiques. Le Petit Journal placerait « le rire en objectif premier et ultime horizon », ne parvenant pas à concilier « humour et critique politique »2, « volonté d’amuser et volonté d’informer ». C’est la critique formulée à de nombreuses reprises par Daniel Schneidermann, notamment dans Libération ou il moque les reportages lacunaires, superficiels et naïfs du P.J. « Ils réinventent le grand reportage, en arrière-petits clones imberbes de Tintin, toujours prêts à sauver Tchang du migou, et à pourfendre Rastapopoulos »[3]. [1] ARMATI, Lucas, Petit Journal, petits journalistes ? Télérama, le 13/02/2013. Disponible sur : http://television.telerama.fr/television/petit-journal-petits-journalistes,77815.php [Consulté le 15/02/2016]. [2] ASI. Petit Journal : Rigolade, coulisses, bidonnage. Dossier d’arrêt sur images. Publié le 24/01/2012, alimentée jusqu’au 10/02/2016 Disponible sur : http://www.arretsurimages.net/dossier.php?id=264[Consulté le 15/02/2016]. [3] SCHNEIDERMANN, Daniel, «Salut Yann !» : les globe-trotters du «Petit Journal». Libération, 27 septembre 2015. Disponible sur : http://www.liberation.fr/chroniques/2015/09/27/salut-yann-les-globe-trotters-du-petit-journal_1391918 [Consulté le 15/02/2016].

De simple chronique dans l’émission Le Grand Journal de Canal + en 2004, Le Petit Journal (P.J.) a pris son indépendance en 2011 pour devenir aujourd’hui une des émissions phares de la chaîne. Programmée en prime time, de 20h10 à 20h50, à l’heure des journaux télévisés (J.T.) des autres chaînes, le P.J. cible en priorité les adolescents, les jeunes adultes et les CSP+, et multiplie les records d’audience. Les thématiques abordées sont variées : de la mode à la politique en passant par l’actualité culturelle ou internationale. L’angle est résolument satirique, puisqu’il s’agit de traquer les petits travers des différents acteurs de la vie médiatique et de leur stratégie de communication. L’émission est en outre rythmée par des contenus ludiques composés de divers sketchs humoristiques sur l’actualité (Eric et Quentin, Catherine et Liliane). Incarnation française de « l’infotainment », le P.J. suscite régulièrement des polémiques qui mettent en tension ses deux finalités : informer et divertir. Il s’agira de montrer ici comment l’analyse des discours médiatiques qui entourent l’émission permet de mettre en lumière cette tension.

Ainsi le générique de l’émission et l’évolution de son discours promotionnel oriente le programme du genre ludique vers le genre authentique , modifiant, de fait son orientation thématique vers le JT résolument informatif, composé de séquences de « reportages » et de « décryptages » de l’actualité sur une tonalité humoristique. Si les discours officiels de la chaîne et de l’émission oscillent entre divertissement et information, mettant l’accent tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre des finalités, les discours paratextuels des journalistes sont très critiques. L’expression « infotainment », contraction d’information et d’entertainment, prime pour désigner le genre du Petit Journal

Ainsi, l’analyse de trois discours médiatiques : le discours officiel de la chaîne, le générique de l’émission et les discours paratextuels des journalistes montre bien que l’orientation thématique du Petit Journal souffre d’une tension entre sa finalité informative et sa volonté d’amuser et de distraire. Initialement émission de divertissement, le programme s’oriente résolument vers le genre authentique depuis la saison dernière. Pour les professionnels le Petit Journal s’inscrit dans de l’infotainment et ne parvient pas véritablement à dépasser sa dimension ludique.

Une lecture de la programmation permet ensuite de situer le Petit Journal dans le discours implicite de la chaîne. Ainsi, l’access prime time s’ouvre à 18h45 avec un JT traditionnel, qui s’inscrit dans la continuité du Grand Journal, un talk-show d’une heure. Viennent ensuite le Petit Journal suivit des Guignols de l’info. Cette programmation et la stratégie titulaire inscrit le Petit Journal dans le prolongement du Grand, dont il est issu. L’émission emprunte d’ailleurs au talk-show le dispositif du public qui se manifeste par des rires et des applaudissements savamment orchestrés. L’articulation avec les Guignols de l’info, autre émission politico-parodique inscrit le P.J. dans une continuité de thématique.

Autre élément déterminant du discours médiatique de l’émission : la construction du générique s’inscrit clairement dans les codes du J.T. traditionnel dont elle force le trait. L’accent est ainsi mis sur le regard que l’émission offre sur le monde, via le logo qui décline la métaphore de l’œil associée au planisphère. Il s’agit donc bien d’insister sur le réel capturé par l’objectif de la caméra du P.J. fixé sur le monde contemporain. Seule la couleur rouge du logo et du plateau vient rappeler la tonalité parodique de l’information présentée, par opposition aux tonalités bleues des JT traditionnels de Canal. Comme dans un J.T. classique, le générique permet de présenter l’émission par métonymie, via de courts extraits (3 titres en général), qui font aussi office de sommaire. Le générique s’achève par un effet de zoom avec des images de la Tour Eiffel (Paris), du studio (Canal +), puis du plateau (LPJ), toujours incrustées dans l’œil/objectif du logo. La musique du générique, classique, avec des accents dramatiques rappelle également les jingles des J.T. traditionnels. Elle contraste avec les groupes de variété française et internationale invités sur le plateau de l’émission.

Le P.J. est tout d’abord à situer dans le contexte de la chaîne. Canal + est une chaîne généraliste mais qui fait la part belle au divertissement, sous toutes ses formes. L’identité de la chaîne s’articule en effet autour du sport et du cinéma qui occupent une proportion non négligeable de sa grille de programmation. A cet égard, la bande annonce de la rentrée 2015 est très révélatrice de l’identité de la chaîne. Réalisée sous la forme d’une animation qui détourne les codes du jeu vidéo, cette séquence décline les programmes clefs : les séries (Game of thrones, Homeland, House of cards…), le cinéma (la famille Bélier, Le Hobbit), le sport (football et rugby) et les talk show (Le Grand Journal). Le P.J. occupe une place centrale dans cette bande annonce, tout comme dans la grille de programmes. Ce sont ainsi des personnages comiques de l’émission (Eric et Quentin, puis Yann Barthès, le présentateur) qui ouvrent et ferment la bande annonce.

Le discours promotionnel de Canal + a en effet évolué progressivement. Du programme de divertissement « qui porte un regard décalé sur l’actualité », le P. J. est devenu un vrai « JT nouvelle génération, avec des reportages sur la politique, l’international, le régional, des sketchs parodiques et un nouveau point quotidien sur le président de la République ». L’émission revendique donc désormais ouvertement son statut de JT, qui la rattache au genre authentique, devant sa dimension ludique et parodique. Les dirigeants du groupe, comme Maxime Saada, s’en font l’écho dans la presse « Nous voulons par exemple que «Le Petit Journal» devienne un 'JT' complet pour la nouvelle génération. Il traitera de tous les sujets[1] ». La presse spécialisée avait d’ailleurs relevé cette évolution, notamment via la place grandissante accordée aux reportages internationaux menés par Martin Weill. Ainsi, à la rentrée 2015, le P.J. gagne une dizaine de minutes, et s’installe sur la plage horaire des JT traditionnels, de 20h10 à 20h50. Cet autre élément de la programmation contribue à orienter l’interprétation de l’émission vers le monde réel et moins vers le genre ludique. [1] FRAISSARD, Guillaume. Entretien avec Maxime Saada. Le Monde, 24/06/2014. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/06/24/canal-veut-faire-du-petit-journal-un-jt-complet-pour-la-nouvelle-generation_4444210_3236.html [Consulté le 11/02/2016].