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Transcript

Jean-Claude Grumberg

La plus précieuse des marchandises

Soit, donc, un récit composé de vingt chapitres brefs. Récit qui fait se croiser deux mondes : celui du conte, non daté, rédigé au présent, comportant des personnages archétypaux et anonymes (un couple de bûcherons pauvres, des camarades, traîtres et malveillants, un brigand généreux à la tête cassée et sa chèvre nourricière, et tout le peuple des « sans-cœur »), des lieux emblématiques (un bois, une cabane, une clairière) et celui du récit historique, rédigé aux temps du passé, avec dates, noms propres, mention de lieux et de pays

et également un héros dont on ne sait pas s’il est fou ou raisonnable, puisqu’il choisit d’abandonner pour offrir à qui s’en saisira un de ses jumeaux âgé de quelques jours alors que lui et toute sa famille sont prisonniers d’un train qui les mène au four crématoire.

et également un héros dont on ne sait pas s’il est fou ou raisonnable, puisqu’il choisit d’abandonner pour offrir à qui s’en saisira un de ses jumeaux âgé de quelques jours alors que lui et toute sa famille sont prisonniers d’un train qui les mène au four crématoire.

L’Allemagne nazie et sa politique raciale ainsi que la France collaborationniste conduisent à faire le constat suivant : si ce brillant médecin, père de jumeaux, doit renoncer à sa profession pour tenter de survivre comme coiffeur à Drancy puis dans les camps de la mort, s’il doit arracher l’un de ses enfants à sa propre épouse pour espérer le sauver en en faisant un « paquet » lancé à travers une lucarne, c’est, rapporte non sans ironie le narrateur, parce qu’il est « inutile de couper les cheveux en quatre et de chercher à comprendre, il n’y a[vait] plus rien à comprendre ».

Jeanine et son frère jumeau, nés le 9 novembre 1943, ont été déportés à l’âge de 28 jours dans le Convoi numéro 64. Ils ne sont jamais revenus. La voix du conte, elle, sauve Jeanine : le nourrisson deviendra, grâce à cette « pauvre bûcheronne » qui prie les présentes forces de la nature plutôt qu’un Dieu absent, une petite fille aimée et joyeuse, nourrie par une chèvre, qui, à l’Est, sera consacrée « pionnière d’élite », et croisera même son père ex-coiffeur, dont « on dit » qu’il est devenu un pédiatre remarquable.

On retrouve dans ce conte des obstacles, des péripéties, des décors familiers, et surtout la relation d’une quête qui ne fait pas l'exception d’épreuves extrêmement dures pour parvenir à son but. La violence est dite et montrée, les crânes sont fracassés, le sang coule et gicle. La morale, aussi, est prononcée : la vie humaine est le seul objet sacré qui soit. « Nul ne peut rien gagner en ce bas monde sans consentir à y perdre un petit quelque chose, fût-ce la vie d’un être cher, ou la sienne propre. » Ce que certains veulent appréhender comme objet marchand, d’autres y voient un cœur et un corps objets d’attention et d’amour infinis. « Les sans-cœur ont un cœur. Les sans-cœur ont un cœur comme toi et moi. […] Petits et grands, les sans-cœur ont un cœur qui bat dans leur poitrine ».

"Voilà la seule chose qui mérite d’exister dans les histoires comme dans la vraie vie. L’amour, l’amour offert aux enfants, aux siens comme à ceux des autres. L’amour qui fait que, malgré tout ce qui existe, et tout ce qui n’existe pas, l’amour qui fait que la vie continue."

Merci!